L'internationalisation du dessin animé français - Mémoire de maîtrise (1998)


TROISIEME PARTIE : LES STRATEGIES D'INTERNATIONALISATION : ENJEUX ET CONSEQUENCES

I. LA POLITIQUE INTERNATIONALE DES PRODUCTEURS D'ANIMATION
A. Résister à la concurrence internationale
B. Conquérir les marchés
II. AVANTAGES DE L'INTERNATIONALISATION
A. Des échanges de savoir-faire
B. Des échanges culturels
III. CONTRAINTES DE L'INTERNATIONALISATION
A. Le poids des spécificités nationales
B. L'adaptation aux normes et aux codes universels
C. La recherche de nouveaux débouchés

L'engagement des producteurs d'animation dans une stratégie d'internationalisation implique une politique volontariste de compétitivité des programmes français. La dimension culturelle des dessins animés doit aussi être prise en compte. Au-delà de son apport financier, la coopération avec l'étranger favorise les échanges de savoir-faire et les échanges culturels. Mais les impératifs économiques liés au marché mondial et à la satisfaction d'un public international ne sont pas sans conséquences sur le contenu des oeuvres produites et sur la liberté des auteurs.



I. LA POLITIQUE INTERNATIONALE DES PRODUCTEURS D'ANIMATION


Dans le contexte de mondialisation où se développe l'industrie de l'animation, les entreprises sont amenées à rechercher des stratégies à différents niveaux de la production, de la fabrication à la distribution.


A. Résister à la concurrence internationale


Contrôler l'ensemble de la chaîne de production d'animation demande une taille financière trop importante pour la plupart des sociétés françaises. La sous-traitance en animation peut porter sur différentes parties de la production et être réalisée en France ou à l'étranger.

a) La délocalisation en Asie et en Europe de l'Est

Pour réduire les coûts de production, la France, à l'instar des autres grands pays producteurs d'animation, sous-traite depuis longtemps la partie animation proprement dite de la chaîne de fabrication des séries d'animation. Les studios installés en France prennent en charge les phases de pré-production et de post-production. L'Asie, l'Europe Centrale et l'Europe de l'Est sont les principaux lieux de délocalisation de la production. Pour mieux contrôler les opérations de sous-traitance, certaines sociétés françaises ont ouvert des filiales ou acquis des studios à l'étranger.

Comme le rappelle Stéphane Le Bars, "jusqu'au milieu des années quatre-vingts, le Japon assurait lui-même cette sous-traitance. Du Japon, la production s'est progressivement délocalisée vers les pays satellites, à la recherche constante d'un abaissement des coûts de production :

- Corée du Sud, au milieu des années quatre-vingts ;

- Corée du Nord, Chine à la fin des années quatre-vingts ;

- Taïwan, Philippines, Birmanie au début des années quatre-vingt-dix" (1).

La sous-traitance en Asie s'est longtemps appuyée sur une main-d'oeuvre à très bas prix, maîtrisant parfaitement les techniques d'animation. Cependant, l'éloignement de ces pays ne facilite pas le contrôle de la production. Cet obstacle a conduit les producteurs français à chercher d'autres solutions pour la sous-traitance.

Le recours aux pays de l'Est, plus récent, relève d'une volonté des pouvoirs publics de rapatrier en Europe une partie de la production d'animation. Millimages a choisi la délocalisation de l'animation, de la colorisation et du tournage en Europe de l'Est. Deux studios situés respectivement en Ukraine et en Roumanie produisent chaque mois une centaine d'heures d'animation pour la société Millimages. Selon son président, Roch Lener, "la proximité culturelle et géographique" favorise les échanges et les déplacements fréquents sur les lieux de fabrication contribuent à l'implication des équipes, "essentielle pour les projets à dominante artistique" (2). Le suivi de la production est facilité dans un domaine où les retards de livraison et la mauvaise qualité de l'animation sont préjudiciables.

b) Les prestataires français

Avec l'informatisation croissante de la production, certaines sociétés se sont spécialisées dans la prestation de fabrication des séries d'animation : Pixibox, Toutenkartoon, Pipangaï (à l'île de la Réunion), Neurones, ou Duran sont les principaux représentants de cette nouvelle génération. Ils maîtrisent des logiciels de post-production utiles aux producteurs d'animation, pour la bande-son, les effets spéciaux ou le montage. Les coproductions avec l'étranger ne font qu'accélérer la croissance de ces nouveaux prestataires.

Les avantages par rapport à la délocalisation en Asie par exemple sont nombreux. Tout d'abord, le rapatriement de la main d'oeuvre permet de bénéficier des aides du compte de soutien qui privilégie les oeuvres fabriquées en France. Ensuite, le suivi des tâches est facilité dans la mesure où la distance géographique est moins grande. Enfin, la compétitivité est maintenue depuis l'augmentation relative du coût de la main d'oeuvre dans les pays asiatiques (3).

Toutenkartoon, filiale du groupe Ramsès, a développé un ensemble d'outils qui lui permettent de gérer toute la chaîne de fabrication des dessins animés. La société a réalisé en 1995 un chiffre d'affaires de 25 millions de francs. Le savoir-faire de Toutenkartoon est reconnu à l'étranger : 90 % des oeuvres sur lesquelles elle intervient sont des coproductions internationales. Les Américains sont particulièrement satisfaits de cette collaboration et apprécient les méthodes de travail et la souplesse d'adaptation aux aléas de la fabrication des séries.

Duran Animation est intervenu sur la série Tom-Tom et Nana, diffusée en 1997 sur Canal J, puis sur France 3. La société a elle-même recours à un studio d'animation basé à Prague. Les prestataires, pour rester compétitifs et compenser le manque d'animateurs en France, sont en effet obligés d'ouvrir des studios à l'étranger ; c'est le cas de Pixibox au Viêtnam ou de Neurones à Séoul. Des échanges réguliers ont lieu entre Duran Animation et sa filiale tchèque grâce à Internet. L'utilisation du réseau permet d'effectuer des corrections rapides et d'échapper à la lenteur et au coût supplémentaire du transport classique. Le soin apporté par les prestataires à la réalisation des séries d'animation s'ajoute à la qualité de création française reconnue à l'étranger.

Le choix de la sous-traitance dépend de la stratégie des producteurs d'animation. Par exemple, Marina Productions ne conserve en interne que la partie conception et développement alors qu'elle sous-traite le reste de la production. L'augmentation des coûts est compensée par la souplesse que ce système de fonctionnement apporte. La société parvient ainsi à travailler sur deux fois plus de séries qu'auparavant, lorsqu'elle possédait son propre studio. L'augmentation du rythme de production est en effet un atout essentiel dans la conquête des marchés étrangers.



B. Conquérir les marchés


Les atouts de la production d'animation française et l'achèvement de son industrialisation ont donné à la France les moyens de partir à la conquête des marchés étrangers. D'une politique défensive face à l'invasion des programmes japonais et américains, la France est passée à une politique offensive pour mieux vendre ses dessins animés dans le monde entier.

a) L'installation des bureaux à l'étranger

Ouvrir des bureaux ou des filiales à l'étranger, en particulier aux Etats-Unis, est un des moyens utilisés par certaines sociétés françaises pour réussir leur internationalisation. Un tel investissement rend les coproductions avec le pays partenaire plus faciles et assure une meilleure connaissance du marché pour les exportations. Un marché aussi fermé que les Etats-Unis pour les programmes audiovisuels constitue le lieu stratégique d'implantation dans une démarche d'internationalisation.

La DIC a été la première société de production d'animation française à s'internationaliser en ouvrant des filiales à l'étranger. Après avoir créé KK DIC au Japon, à la fin des années 1970, Jean Chalopin a ouvert une filiale aux Etats-Unis pour produire en 1983 Inspecteur Gadget et devenir un des principaux producteurs de séries d'animation en France. La société C&D conserve aujourd'hui ses filiales de production et de distribution à Los Angeles et à Tokyo.

Saban International Paris a installé à la même époque, en 1983, une filiale aux Etats-Unis, "qui devient rapidement plus importante que la maison-mère, en se spécialisant progressivement dans la distribution de programmes de télévision, notamment pour les enfants, puis dans la production" (4). En créant Saban Entertainment à Los Angeles, SIP a pu assurer son propre développement et constituer un des plus importants catalogues de séries d'animation en France.

Ces pionniers ont été suivis par d'autres sociétés françaises. Ellipse a ouvert en 1995 un bureau aux Etats-Unis, Ellipse Programm USA (Los Angeles). Simon Hart, directrice des coproductions internationales d'Ellipse Programme France, analyse cette démarche comme la suite logique des débuts d'internationalisation d'Ellipse : "C'est l'expansion naturelle de notre diversification internationale [...]. Nous espérons bien que le fait d'avoir une présence permanente va nous permettre de trouver beaucoup plus de projets à développer avec des partenaires américains et européens" (5).

Ellipse Programm USA a la charge de l'ensemble des programmes audiovisuels (fiction, documentaire, animation). Pourtant, après la réalisation de Babar et Tintin pour le réseau américain HBO et la coproduction de la série Doug avec Nickelodeon, les liens tissés avec les Etats-Unis dans le domaine de l'animation sont les plus anciens et les plus solides.

En 1996, Carrère a suivi l'exemple d'Ellipse en ouvrant un bureau à Los Angeles afin de vendre et de coproduire des programmes d'animation. L'ouverture d'un bureau aux Etats-Unis n'est rentable que pour les grands producteurs d'animation français. Les petites sociétés n'ont pas la taille suffisante pour envisager cette démarche. Cependant, le marché américain intéresse de nombreux producteurs français. Pour réussir à exporter une série d'animation aux Etats-Unis, la présence sur le territoire américain n'est pas indispensable ; la négociation se fait au cas par cas.

b) La conquête récente du marché américain

Le marché américain est le premier marché de l'audiovisuel et des jouets dans le monde avec 55 millions d'enfants concernés. Il peut supporter 40 à 50 % du coût d'une série d'animation. La tentation est grande d'inclure un partenaire américain dans le financement d'un dessin animé, plutôt que de rester en Europe. Pour espérer des recettes importantes en matière de produits dérivés, le passage par les Etats-Unis est indispensable. A l'inverse, les Américains se tournent vers les Français, d'une part pour leurs idées et, d'autre part, pour bénéficier des aides du CNC auxquelles ils ont accès en tant que coproducteurs.

En revanche, l'exportation de séries d'animation aux Etats-Unis reste encore un parcours chaotique, mais une réelle ouverture se dessine depuis le milieu des années 1990. Ainsi, Gaumont Multimédia, la filiale de production d'animation de Gaumont, a réussi à exporter plusieurs séries aux Etats-Unis alors qu'elle venait à peine de se lancer dans la production d'animation pour la télévision. L'événement a surpris et a fait naître l'espoir d'une réelle implantation possible sur le marché américain des programmes d'animation français. Plusieurs séries françaises ont déjà été achetées et diffusées par des chaînes américaines (par exemple, Babar, ou plus récemment Les Babalous sur Cartoon Network).

Gaumont Multimédia a ainsi vendu la série Les zinzins de l'espace à Fox Kids Network qui s'est engagée sur deux saisons, soit deux séries de 26 épisodes de 26 minutes. Le titre français a été adapté pour l'international en Home to Rent (Maison à louer) alors que la version américaine est plus proche du titre original : Space Goofs. Le dessin animé se déroule dans une villa où habitent cinq extraterrestres. Il s'adresse autant à un public adulte qu'à un public d'enfants en reprenant les recettes du cartoon à l'américaine. La série a été créée dès l'origine pour le marché international. "Les équipes ont ainsi été formées à ce type d'animation par des professionnels américains du cartoon et les scénarios ont été très travaillés" (6).

Les nouvelles règles édictées aux Etats-Unis, en 1996, par la Federal Communications Commission (FCC) privilégient les programmes d'animation à valeur éducative et sans violence. La France a acquis un véritable savoir-faire dans ce domaine ; ses dessins animés intéressent donc de plus en plus les diffuseurs américains, soucieux de respecter les nouvelles réglementations. Mr Men, la série de Marina Productions, a ainsi profité d'une ouverture sur le marché de la syndication aux Etats-Unis. Adaptée des petits livres pour enfants écrits par Roger Hargreaves, la série présente une galerie de personnages montrant la diversité des caractères humains. Elle a notamment été achetée par WPIX (chaîne Warner/Disney de New York), WCIU (Chicago), WPSJ (Philadelphie), WSBK (Boston), KBHK (San Francisco) et WXON (Détroit). Le dessin animé couvre ainsi la majeure partie du territoire des Etats-Unis (85 %).

Pour convaincre les Américains du sérieux de sa production, la société française Contre-Allée a tenu des délais considérés comme irréalisables en Europe. Le premier épisode de Calamity Jane, coproduit avec le concours de France 3 et de Canal Plus, a été livré en septembre 1997 alors que la fabrication avait débuté en mars de la même année. "Nous avons ainsi démontré aux Américains qu'une société française, donc européenne, était capable de respecter leur standard de fabrication" (7) se félicite Michel Pinard, directeur de la série.

Calamity Jane a d'ailleurs séduit la directrice de Warner Bros TV Animation. C'est une des rares séries à mettre en scène un héros féminin. L'histoire se passe au Far West et explique l'intérêt immédiat des Américains pour cette série de 13 épisodes de 26 minutes. Les deux premiers épisodes diffusés le samedi matin sur WB Kids ont bénéficié de la meilleure audience sur les grandes villes américaines, confirmant le succès attendu de la série.

Cependant, certains professionnels français ne voient aucun avenir prometteur en Amérique. Ainsi, Dominique Poussier ne partage pas l'optimisme de Gaumont Multimédia : "Je ne crois pas aux possibilités d'ouverture sur le marché américain" (8). Selon elle, les Etats-Unis produisent suffisamment de programmes pour satisfaire leur demande intérieure. La responsable des programmes jeunesse de TF1 demeure sceptique face à l'engouement actuel pour les ventes de dessins animés sur le marché américain.

Certes des séries d'animation françaises sont vendues aux Américains, mais cela reste exceptionnel et les prix d'acquisition sont si bas que l'effort peut paraître inutile. Nickelodeon achèterait l'épisode d'une série près de 35 000 francs, Cartoon Network et Disney investiraient de 30 000 à 120 000 francs la demi-heure. En France, l'investissement moyen dans l'achat d'un épisode de 26 minutes varie de 75 000 à 100 000 francs pour France 3, par exemple. En comparaison, les coûts de production dépassent souvent le million de francs par épisode. La baisse des coûts d'acquisition est en partie due à la multiplication des chaînes du câble spécialisées dans le domaine des programmes jeunesse et à la vive concurrence entre les différents distributeurs étrangers.

Quelle que soit la stratégie d'internationalisation choisie par les producteurs français d'animation, les coproductions avec l'étranger et les exportations sont, comme l'a montré la deuxième partie de ce mémoire, une source de revenus essentielle. D'autres avantages, sans doute moins tangibles, s'ajoutent aux apports financiers : des échanges de savoir-faire et des échanges culturels.






II. AVANTAGES DE L'INTERNATIONALISATION



La France est souvent regardée par l'étranger comme un modèle pour la créativité de ses séries d'animation. Le système de soutien du CNC est également envié par de nombreux pays. L'Angleterre cherche d'ailleurs à mettre en place un fonds de soutien équivalent au COSIP. Pourtant, l'animation française s'inspire aussi de modèles étrangers pour mieux s'adapter au marché mondial.


A. Des échanges de savoir-faire


a) Les regroupements de studios en Europe

L'échange de savoir-faire est une réalité en Europe, grâce aux regroupements de studios initiés par le programme Cartoon (9). La coopération permet aux petits studios d'atteindre une taille suffisante pour assurer des productions difficiles comme les séries d'animation. Surtout, les partenaires issus de pays différents de chaque regroupement s'enrichissent mutuellement. Chacun apporte sa vision, ses méthodes de travail, ses aptitudes.

Le regroupement EVA a constitué une "équipe de scénaristes, de réalisateurs et d'animateurs qui n'hésitent pas à échanger leurs avis et à additionner leurs compétences" (10). Au sein de chaque regroupement, les studios ont des spécialités et des talents différents, mais toujours complémentaires. La France participe à huit regroupements sur dix en 1995. Chaque regroupement est différent, par la taille et le domaine d'activité (dessin animé traditionnel, images de synthèse). Les partenaires des studios français sont anglais, belges, allemands, irlandais, danois, italiens, grecs, italiens et luxembourgeois. L'ensemble des pays a déjà l'habitude de coopérer dans le cadre des coproductions et des exportations.

La réussite internationale des productions issues de ces regroupements de studios a conduit à la constitution de sociétés d'investissements et de distribution, chargées du montage financier des nouveaux projets et de la distribution internationale de leurs catalogues. C'est le cas d'E-Toons International créé en 1994. Dans ce domaine, l'échange de savoir-faire encourage une meilleure promotion des programmes sur les marchés internationaux. En dehors de l'Europe, la France s'est tournée vers les Etats-Unis pour acquérir de nouveaux savoir-faire.

b) L'écriture du scénario et le rythme de séries : l'exemple américain

Les Américains ont pendant longtemps reproché aux Français le manque de rythme et la faiblesse dans l'écriture des scénarios. Sidney Iwanter, acheteur de la chaîne américaine Fox Kids, résume la différence culturelle : "Nous faisons du Buster Keaton, vous faites du Truffaut" (11). Selon Claude Berthier, directeur de Marina Productions, "ce n'est pas le dessin, mais la post-production qui distingue les Américains des Européens. Leur montage est plus vif et leur bande-son beaucoup plus travaillée" (12). Pourtant, depuis le début des années 1990, la France a fait des efforts en multipliant les formations spécifiques à l'écriture des scénarios de séries d'animation. Des progrès notables ont été faits.

Selon Stéphane Le Bars, "les producteurs ont gommé les défauts initiaux (manque de rythme, d'action, de rebondissements) des programmes français, prenant en compte les acquis de la technique américaine d'écriture, tout en conservant l'inspiration européenne. Un gros travail d'écriture est désormais réalisé par les producteurs français. Il y a même un travail de réécriture dans certains studios" (13).

Auparavant, les scénaristes français étaient habitués à travailler seuls ou à deux. Prenant exemple sur les Américains, les Français ont développé les ateliers d'écriture : une équipe de scénaristes est placée sous le contrôle d'un directeur d'écriture. Il s'agit autant de répondre au rythme élevé de production des épisodes de séries d'animation que d'assurer une meilleure qualité dans l'écriture des scénarios. Le scénariste Pascal Mirleau souligne les limites du travail en équipe : "On travaille de plus en plus en équipe et c'est une bonne chose, même si la multiplicité des avis des différents intervenants -- producteur, coproducteur, directeur d'écriture, etc. -- complique parfois le travail du scénariste" (14).

La demande en dessins animés étant devenue plus importante depuis quelques années, le métier de scénariste a suivi le changement d'une production artisanale vers une production industrielle. Il demande une polyvalence et une technicité nouvelles. Selon Serge Rosensweig, directeur d'Elma Animation et ancien collaborateur de nombreuses productions en séries, "le métier est devenu très particulier. Outre son travail d'auteur, l'équilibre d'une série et sa faisabilité budgétaire et technique dépendent aussi du scénariste ; il doit donc connaître tous ces domaines. Au métier d'artiste s'est progressivement ajouté un métier de technicien créatif" (15).

L'internationalisation des productions a accéléré cette évolution. En effet, pour faciliter les échanges entre les coproducteurs et pour négocier les séries sur les marchés internationaux, il est nécessaire de trouver une base de travail commune. Les choix des différents partenaires sont guidés en particulier par la bible (16) définie par les créateurs de la série : c'est l'outil de référence tout au long de la production.



B. Des échanges culturels


a) Les coproductions : une ouverture sur d'autres cultures

Les coproductions avec l'étranger permettent d'échanger des savoir-faire et des idées, et de confronter des valeurs. Les traditions dans le domaine de l'animation varient en effet selon les pays. Par exemple, les Etats-Unis privilégient le cartoon et ses gags visuels, tandis que la France développe depuis longtemps une tradition de pédagogie dans ses dessins animés. "La qualité d'un dessin animé repose sur celles de son concept graphique, de son animation et du scénario, rappelle Mireille Chalvon. Mais pour les enfants, c'est le scénario qui prime. Les Français se sont imposés en réhabilitant la bonne histoire, alors que les Américains persistent à privilégier le gag" (17).

Les dessins animés sont un support privilégié pour présenter d'autres cultures aux enfants, qu'elles soient contemporaines ou du passé. C'est aussi un moyen de satisfaire un public international par des références culturelles mondiales ou plutôt occidentales dans la plupart des cas. Les sources d'inspiration sont diverses : le Chicago des années 1930 dans la série Dog Tracer de Marina Productions, le Grand Nord canadien dans Nanook. Si les dessins animés japonais empruntent beaucoup à l'Occident pour leurs histoires et leurs personnages, l'animation française s'inspire parfois de la culture orientale. "C'est le cas des Tortues Ninja qui puisent des codes de conduite dans la philosophie des arts martiaux, à travers l'enseignement des armes et la sagesse que leur délivre un maître zen" (18).

La fascination des enfants comme des adultes pour les civilisations anciennes donnent lieu à des séries d'animation. Plusieurs dessins animés sur l'Egypte ont ainsi été facilement acceptés par les diffuseurs français : Papyrus pour TF1 et La princesse du Nil pour France 2. Pour la série de Dupuis Audiovisuel, les conseils d'un égyptologue, Pierre Corteggiani, ont apporté aux scénaristes de Papyrus des anecdotes supplémentaires par rapport aux albums de Lucien de Gieter. Le recours à un spécialiste a également permis de contrôler la véracité historique des faits relatés dans la série. Cet effort n'est pas seulement à l'attention des enfants. En effet, sur le marché international, les dessins animés "à contenu informatif" se vendent particulièrement bien. Tom & Sheena, coproduite en Europe et en cours de réalisation en 1998, est une illustration des possibilités offertes par les séries d'animation documentées. Le dessin animé aborde la vie quotidienne en Afrique en racontant l'amitié entre un jeune garçon et une panthère dans le monde des guerriers Masaï d'Afrique orientale. Vendue en Afrique du Sud et en Turquie, la série intéresse de nombreux pays.

La diversité des cultures présentées au travers des dessins animés satisfait certes la curiosité et l'ouverture d'esprit des enfants. Pourtant, selon Béatrice Cornier-Rodier et Béatrice Fleury-Vilatte, le recours à la présentation d'autres cultures répond surtout à un objectif financier : "les enfants de tous les pays du monde peuvent en effet recevoir des dessins animés sans être gênés par une trop grande spécificité culturelle" (19).

De manière générale, les coproductions internationales incitent les partenaires à situer l'action des épisodes qu'ils réalisent dans les différents pays auxquels ils appartiennent : "Les héros voyagent donc autant que les conditions de fabrication et de coopération l'autorisent. Riches en expériences culturelles diversifiées, les dessins animés sont ainsi susceptibles de plaire à des enfants du monde entier, car à un moment ou à un autre de l'histoire, l'enfant sera chez lui" (20). De nombreuses bandes dessinées au succès international fonctionnent sur ce principe et leur adaptation en a été facilitée : c'est le cas pour Tintin et pour Spirou. Les deux jeunes héros sont reporters et voyagent donc à travers les pays du monde.

La multiplication des coproductions internationales a tendance à renforcer le recours aux références culturelles mondiales. En même temps, la coopération entre plusieurs pays et la connaissance du marché mondial renouvelle la production des dessins animés, par un enrichissement et un échange permanents. Ainsi, Christian Davin pense que la réunion des talents au niveau international est prometteur pour l'avenir du dessin animé. "On parvient ainsi à observer et à comprendre les cultures et les besoins de chacun. La réunion de la technique d'écriture américaine, de l'inspiration et des idées européennes donneront naissance à des produits formidables" (21). Si la coproduction est un moyen de s'ouvrir aux autres cultures, à l'inverse, l'exportation permet à la France de répandre sa propre culture à travers le monde.

b) L'exportation : le rayonnement de la France

Les pouvoirs publics sont conscients de l'enjeu culturel qui se cache derrière l'exportation des programmes audiovisuels français. Selon Hubert Védrine, ministre français des Affaires étrangères, "l'exportation de programmes est un enjeu économique autant que culturel. La vente des programmes français à l'étranger a représenté 1,3 milliard de francs en 1996, auxquels s'ajoutent 1,2 milliard d'exportations de films. Mais les Etats-Unis détiennent au moins 60 % des échanges mondiaux dans ces secteurs" (22). Pour lutter contre le déséquilibre au profit des Etats-Unis dans les flux de programmes, les pouvoirs publics ont mis en place une politique audiovisuelle extérieure afin de promouvoir la culture française à l'étranger.

La France possède ainsi deux chaînes de télévision francophones internationales : TV5 Europe et TV5 International, ainsi que Canal France Internationale (CFI), banque de programmes français de télévision diffusée vers des pays d'Afrique, du Proche et du Moyen-Orient par exemple. Cette politique n'a pas d'objectif économique et ne remplace en rien l'exportation classique des programmes français à l'étranger. En 1997, la somme allouée à l'audiovisuel extérieur est de 1,2 milliard de francs.

Olivier-René Veillon croit cependant plus à l'action de TVFI dans la mesure où "la France a la chance de disposer d'entreprises de production et de distribution audiovisuelles dynamiques et entreprenantes qui sont en train de réussir leur internationalisation" (23). Créé en 1994, ce nouvel organisme regroupe des producteurs indépendants, des distributeurs et des filiales de distribution des chaînes. Cette structure publique est chargée de promouvoir les ventes de programmes audiovisuels français à l'étranger. Pour compenser le déséquilibre entre les importations et les exportations de programmes, TVFI a pour mission de dynamiser le secteur. TVFI est une association qui fournit des informations et des conseils sur la stratégie internationale de ses sociétés membres (près d'une centaine). TVFI bénéficie du soutien du CNC. Selon Olivier-René Veillon, "les Français sont réellement présents sur les marchés américains depuis trois ans grâce à la création de TVFI en 1994" (24).

L'animation est un des genres auquel profite le plus l'action de TVFI et dont l'exportation permet de véhiculer la culture et l'histoire de la France. "Ses produits, ses oeuvres, dans la grande majorité des cas, connaissent une diffusion mondiale et de longue durée et, par voie de conséquence, permettent à notre culture et à nos artistes de pénétrer les univers culturels des autres pays" (25). L'animation française est très appréciée à l'étranger. Les programmes s'exportent bien, les récompenses internationales sont régulièrement attribuées à des oeuvres françaises.


Les coproductions et l'exportation des dessins animés ne comportent pas que des avantages. De nombreuses contraintes pèsent en effet sur la production française d'animation. Satisfaire le marché international demande parfois de modifier le contenu des dessins animés. La conception française des oeuvres audiovisuelles se heurte à d'autres conceptions qui remettent en cause, dans une certaine mesure, la liberté de créativité de l'auteur.






III. CONTRAINTES DE L'INTERNATIONALISATION



La réalité des marchés internationaux implique des concessions d'ordres différents : les programmes doivent s'adapter à chaque pays et tenir compte des particularités nationales, s'aligner sur les standards internationaux et viser la plus grande universalité.


A. Le poids des spécificités nationales


a) Les susceptibilités nationales

Dès les premières coproductions, le problème de l'adaptation aux différentes sensibilités nationales s'est posé. En 1983, Les Mystérieuses Cités d'Or, coproduction franco-japonaise, a subi la censure anglo-saxonne qui interdit la diffusion d'images où des enfants portent des armes ou bien se montrent nus (26).

De manière générale, tabac, alcool et armes à feu sont proscrits des programmes d'animation diffusés aux Etats-Unis. La France est également très attachée à la protection de l'enfance, mais elle n'est pas aussi catégorique. D'autres pays se caractérisent par une tradition de protection des enfants comme les pays nordiques de l'Europe, l'Allemagne et la Grande-Bretagne. L'exemple le plus célèbre de l'écart culturel avec les pays francophones est celui de Tintin où le capitaine Haddock ne boit pas de whisky dans la version adaptée pour la télévision. Cette modification peut jouer sur le scénario même : dans Tintin et les Picaros, le goût pour le whisky du capitaine Haddock n'est pas seulement un trait caractéristique du personnage, mais un élément narratif dont la transformation supprime un effet comique.

La société de production française Contre-Allée a vendu Calamity Jane à Warner Bros Television Animation. Le président de Warner Bros Television Animation, Jean MacCurdy, a apprécié la série Calamity Jane pour son authenticité en ce qui concerne l'histoire de l'époque du Far West. Sur un sujet aussi sensible que le mauvais traitement des Indiens d'Amérique, la série a convaincu la chaîne.

L'adjointe à la direction de Contre-Allée, Sandra Chapovaloff, explique les attentes des Américains : "Au-delà de la qualité graphique et de l'efficacité du scénario, les Américains sont aujourd'hui très pointilleux quant à l'éthique du contenu. Concernant la violence par exemple, ils admettent le pistolet à l'image, mais la mort doit être suggérée plus que montrée et pas question de faire couler la moindre goutte de sang." (27)

L'adaptation d'Highlander en dessin animé par Gaumont a également demandé une vigilance particulière : "nous avons passé plusieurs mois sur l'adaptation pour évacuer les aspects violents des trois films et de la série" (28), explique Marc du Pontavice. Gaumont visait en effet le marché international et plus particulièrement les Etats-Unis, coproducteurs de la série (Bohbot Entertainment, éditeur de programmes pour la jeunesse). Le dessin animé a été vendu dans de nombreux pays, dont l'Espagne (à RTVE), l'Angleterre (à la BBC), le Canada et l'Afrique du Sud.

Les excès du "politiquement correct" pèsent parfois sur la liberté de création des scénaristes français. Le scénariste Alain Serluppus "regrette que les scénarios soient trop souvent édulcorés et rappelle que dans les plus célèbres contes pour enfants, la cruauté a toujours voix au chapitre" (29). Les coproducteurs étrangers ont un point de vue particulier dont il faut tenir compte tout au long de la production d'une série d'animation (conception, réalisation, post-production).

b) Le poids des coproducteurs

Chaque pays a ses règles ou réglementations. Chaque pays a sa spécificité (graphisme, écriture, format), sa tradition, son humour. Dans le cas des coproductions avec l'étranger, les divergences de point de vue sont réglées par le producteur délégué qui traite séparément avec les différents coproducteurs.

La pression des coproducteurs n'est pas la même s'il s'agit de coproductions majoritaires ou minoritaires. En 1991, les coproductions majoritairement françaises représentent 15 % seulement de l'ensemble des coproductions, alors qu'en 1994 elles constituent 70 % de l'ensemble des coproductions (30). Ce renversement de tendance en quelques années montre de la part des partenaires français un investissement plus grand dans les coproductions. En ce qui concerne les coproducteurs américains et canadiens, c'est un moyen de faire tourner leurs studios en s'engageant peu, financièrement. Les Etats-Unis sont un partenaire dont se méfient beaucoup les producteurs et les diffuseurs français.

Lors de coproductions avec les Américains, on peut en effet s'interroger sur la nature du dessin animé à l'arrivée. Aux Etats-Unis, les producteurs ont l'habitude d'intervenir au niveau de la création et du montage. Ils prennent aussi une grande partie des droits de distribution. Par exemple, Calamity Jane s'est vendue dans le monde entier par l'intermédiaire de la société de distribution anglaise Itel, mais celle-ci a dû céder les droits de merchandising américains à Warner.

Monsieur Bonhomme de Marina Production n'a pu être exporté aux Etats-Unis qu'en reformatant la série. Initialement, le dessin animé se présentait en 104 épisodes de 5 minutes. Les Américains ont réussi à transformer la série en 40 épisodes d'une demi-heure afin d'inclure la publicité et de respecter le format standard des chaînes. Chaque épisode américain est composé de 3 tranches de 5 minutes reliées par du live. De plus, des onomatopées ont été ajoutées aux épisodes et la musique a été changée, de façon à s'adapter au public américain. Alors que le format français s'adresse aux enfants entre 3 et 5 ans, les Américains espèrent toucher les enfants de 3 à 8 ans, ce qui correspond plus à la cible des annonceurs (6-10 ans). Tous les producteurs français ne sont pas encore prêts à accepter de tels changements pour leurs programmes.



B. L'adaptation aux normes et aux codes universels


Face à la difficulté de s'adapter aux différentes spécificités des pays partenaires, les producteurs français d'animation sont tentés de fabriquer des programmes "universels". Le dessin animé est, par essence, le genre qui traverse le mieux les frontières. L'adaptation aux normes et aux codes universels en est facilitée.


a) Graphisme et format

Avec l'informatisation croissante de la production industrielle des séries d'animation, le style graphique des dessins animés s'uniformise. De plus, pour s'adapter à un public international, les producteurs français évitent de prendre des risques. Ainsi, en ce qui concerne les séries d'animation, c'est la technique traditionnelle du dessin qui est utilisée. Les techniques d'animation utilisant des marionnettes, de la pâte à modeler ou tout autre support original sont très rarement employés, à l'exception des formats courts.

Le format international le plus répandu est le 26 minutes. Le nombre d'épisodes varie selon les pays. La grille de programmes pratiquée aux Etats-Unis impose au minimum 52 épisodes. La France, dans son internationalisation, a dû s'adapter aux exigences du marché mondial, même si son talent est reconnu pour les formats plus courts.

Les producteurs français étaient majoritairement tournés vers les formats inférieurs à 13 minutes dans les années 1980. La majorité des dessins animés français sont aujourd'hui de 26 minutes par épisode, format international standard imposé par les Américains. Cela permet de vendre les programmes sur les marchés internationaux et d'être diffusé par les télévisions du monde entier.

En 1991, les séries de 26 minutes ont reçu 85 % du total des apports étrangers pour les oeuvres d'animation. En 1993, la quasi-totalité (97 %) des financements étrangers s'est portée sur ce format. En 1994, les pays non européens ont consacré 90 % de leurs investissements dans le 26 minutes (31).

b) Des contenus universels

En ce qui concerne le contenu, l'uniformisation est facilitée par les ingrédients d'un genre principalement destiné aux enfants. La narration des dessins animés répond en général à des principes "universels", à l'instar des contes, des légendes et des mythes anciens : "quel que soit le genre du dessin animé (aventure, drame, comédie...), le récit obéit à une logique narrative déjà éprouvée dans la littérature enfantine mondiale" (32). L'histoire s'articule autour d'un héros chargé d'une mission : rétablir l'ordre du monde perturbé. Ce héros rencontre d'autres personnages adjuvants ou opposants. La valorisation du héros permet l'identification du jeune téléspectateur. On sait par ailleurs que l'enfant s'identifie plus volontiers à un héros plus âgé que lui et qui arrive à surmonter les obstacles qu'il rencontre. Les valeurs véhiculées sont toujours les mêmes : justice, amitié, courage à travers des épisodes où s'affrontent les forces du Bien et du Mal. A ces stéréotypes s'ajoutent des thèmes en conformité avec notre époque : la famille (Babar), l'environnement (Bambou et compagnie, Ma petite planète chérie), la défense de la liberté (Marianne Première). Enfin, le merveilleux, le fantastique et la science-fiction constituent l'univers de nombreuses séries.

Ces principes se retrouvent dans les adaptations de livres ou de bandes dessinées dont les personnages sont déjà connus mondialement. Cependant pour correspondre aux goûts et aux attentes du public contemporain, les récits des albums de certaines bandes dessinées sont modernisés. L'internationalisation des dessins animés s'appuie alors plus sur la notoriété des personnages que sur les caractéristiques intrinsèques des oeuvres originales.

La série Blake et Mortimer, coproduite avec le Canadien Cactus, a été conçue pour être rentabilisée sur le marché international. Neuf albums ont été adaptés en deux épisodes chacun et quatre histoires originales ont été inventées pour l'occasion par les scénaristes d'Ellipse Animation. L'univers très masculin de la bande dessinée a par exemple été féminisé avec l'ajout d'au moins un personnage féminin par épisode. Plus étonnant, le juron favori des héros "by Jove" a été remplacé : "par les culottes de Mac Gregor".

Si les bandes dessinées sont une des sources essentielles des dessins animés, l'adaptation de certaines d'entre elles n'est pas pour autant facilitée. Selon Françoise Reymond, directrice des achats de programmes et des émissions pour la jeunesse de Canal Plus, "adapter une bande dessinée réaliste est extrêmement difficile. Contrairement à ce que l'on imagine, c'est plus compliqué que de partir d'un roman. Pour parvenir à restituer l'atmosphère de l'oeuvre originale, les contraintes sont énormes" (33). La bande dessinée Barbe-Rouge a ainsi subi quelques transformations dans sa récente adaptation pour la télévision : "de nouveaux personnages sont apparus, notamment la jeune Constance, créée à la demande de la chaîne [Canal Plus], qui trouvait que la série manquait de figures féminines" (34).

Malgré la nécessaire standardisation et les contraintes de l'adaptation, l'accroissement de la demande mondiale et la diversité des nouvelles chaînes thématiques offrent au dessin animé français la possibilité de se renouveler, tant dans le contenu que dans la forme, et même dans le public visé.

C. La recherche de nouveaux débouchés


a) Le renouvellement du genre

Certains professionnels s'inquiètent de l'absence de renouvellement des concepts, à l'instar de Mireille Chalvon : "on convainc plus facilement les décideurs sur des sujets connus, comme Tintin ou Blake et Mortimer. Mais ça s'épuise aussi. Il faut créer des choses nouvelles" (35). Les concepts internationaux les plus évidents ont déjà été utilisés. Serge Rosenzweig, producteur d'animation, encourage les scénaristes à imaginer des histoires et des images différentes de la production classique américaine ou japonaise. "il y a d'autres aventures que celles des bons et des méchants, Jack London l'a montré. La quête initiatique, on continue à l'exploiter [...] et quand je me trouve face à un commercial, je peux lui dire : faisons-le, les autres ne le font pas" (36).

Certains producteurs français ont su prendre des risques sur le concept des séries d'animation et ont été récompensés. Un style de dessin animé différent a été initié avec Dr Globule, produit par la société de Philippe Mounier, PMMP. C'est l'histoire d'un savant fou qui fait commerce d'animaux qu'il fabrique dans son château en Transylvanie. La série à l'humour décalé plaît beaucoup aux Anglais. Carlton préachète la première série de 26 épisodes, appelée Transylvania Pet Shop pour l'international, et diffusée sur ITV en 1994 où elle réalise 53 % de part d'audience sur les 4-15 ans. En 1995 et 1996, de nouveaux épisodes sont produits et la série se vend au total dans 104 pays, y compris en Chine. En revanche, l'Amérique du Nord reste réticente : "Aux Etats-Unis, on n'a pas voulu me l'acheter assez cher. Au Canada, on me dit que c'est trop français" (37), explique Philippe Mounier. Le succès international de Dr Globule est en tout cas un tremplin pour les productions ultérieures de PMMP et la preuve qu'il reste de la place pour des programmes originaux sur le marché mondial.

b) L'élargissement de l'audience

En prenant exemple sur la récente tendance des dessins animés américains, les Français se sont lancés dans les séries pour adolescents et pour adultes. Ce nouveau créneau ne rassure pas encore les diffuseurs habitués à associer le dessin animé à la grille de programmes jeunesse, mais l'évolution des mentalités et les succès d'audience pourraient faire changer d'avis les chaînes de télévision. Plusieurs producteurs français sont prêts à cette nouvelle diversification susceptible d'attirer les annonceurs. Pour l'instant, ce sont surtout les chaînes thématiques, plus que les chaînes hertziennes (à l'exception de Canal Plus), qui sont intéressées par ce type de programmation.

Cinéstar 1, une chaîne du satellite, diffuse avant le film du mercredi Oggy et les cafards, un dessin animé produit en 1998 par Gaumont Multimédia. Cette série en 78 épisodes de 7 minutes qui réunit toutes les générations exploite les recettes du cartoon américain : rythme trépidant, absence de dialogues, bruitages. Après le succès de Home to Rent, Gaumont a réussi à convaincre la Fox de pré-acheter cette série. Par ailleurs, Marc du Pontavice, directeur de Gaumont Multimédia, travaille sur une série de science-fiction, Off Worlds, au format original de 13 x 52 minutes. Selon lui, "pour sortir l'animation des cases jeunesse, il faut développer des sujets qui s'y prêtent : science-fiction, sitcoms de 26 minutes, programmes de late-night" (38).

Arrivée à la tête de France Animation au mois d'août 1997, Giovanna Milano a confirmé la tendance actuelle en précisant sa politique. "Nous allons développer des genres différents, aventures et humour pour les enfants plus âgés, avec des séries longues telles Ivanhoé, dont la suite est en préparation (25 x 26' au total), ou Patrouille 03, coproduite avec France 3, Ravensburger et Cinar" (39). Les producteurs sont conscients de la difficulté d'intéresser les adolescents aux programmes d'animation. Il s'agit donc d'utiliser les mêmes recettes que pour les séries de fiction.



En raison de la multiplication des chaînes par câble et par satellite, la concurrence s'accroît. Ces nouvelles chaînes favorisent une fragmentation de l'audience, et l'apparition d'une demande ciblée. Si les séries d'animation parviennent à sortir des programmes jeunesse, on peut espérer un retour de créateurs aussi talentueux que l'étaient René Laloux et Paul Grimault à leur époque.

© Lélia Maurellet

 
 

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