L'internationalisation du dessin animé français - Mémoire de maîtrise (1998)


PREMIERE PARTIE : LE RENOUVEAU ET LES ATOUTS DE LA PRODUCTION FRANÇAISE D'ANIMATION


I. LE RENOUVEAU DE L'ANIMATION FRANÇAISE
A. La créativité française, un atout face à la concurrence japonaise et américaine
B. Les difficultés de l'industrialisation en France
C. Le financement difficile des dessins animés
II. LES ATOUTS INDUSTRIELS DE LA PRODUCTION FRANÇAISE D'ANIMATION
A. Une industrie dynamique
B. L'avancée technologique
C. L'exemple du Pôle Image : un projet de développement culturel et économique

L'industrialisation des séries d'animation est née du développement de la télévision aux Etats-Unis dans les années 1950. Les Etats-Unis sont alors dotés d'une industrie de l'animation, tournée vers le cinéma. Tout est en place pour répondre à une demande croissante, d'autant plus que le long métrage traverse une crise à cette époque. En Europe, le cinéma d'animation est, à l'inverse, le parent pauvre du septième art. "On assiste à l'éclosion de petites unités artisanales, sans grande "surface" économique, ou de réalisations individuelles isolées. Cette période a durablement marqué les années cinquante/soixante-dix"(1). Alors que la demande en programmes s'accroît à destination du public des enfants et des adolescents au début des années 1980, la France ne dispose donc que de quelques studios artisanaux, incapables de répondre aux besoins de la télévision. Cependant elle réussit à la fin des années 1980 à s'imposer comme le premier producteur d'animation en Europe et le troisième mondial. Cette résistance, malgré la concurrence des Etats-Unis et du Japon, est due à plusieurs facteurs.

 

I. LE RENOUVEAU DE L'ANIMATION FRANÇAISE


L'histoire du cinéma d'animation montre que le dessin animé français peut s'appuyer sur la créativité de ses auteurs et sur la richesse de son patrimoine culturel. Cependant, la puissance de la production d'animation au Japon et aux Etats-Unis ont empêché la France d'exploiter cet atout de manière industrielle jusqu'au milieu des années 1980.

A. La créativité française, un atout face à la concurrence japonaise et américaine


a) Origines du cinéma d'animation et débuts prometteurs à la télévision


Le dessin animé a dès ses débuts permis à des artistes d'exprimer leur personnalité et de développer un univers original grâce à leur imagination. Le Français Emile Cohl (pseudonyme d'Emile Courtet) fut un des premiers à s'exprimer au moyen de cet art dans des courts métrages cinématographiques (Fantasmagorie en 1908). De 1908 à 1923, Emile Cohl réalise plus de deux cents films d'animation en imaginant la plupart des techniques encore utilisées aujourd'hui. Jusqu'à la seconde guerre mondiale, le dessin animé français est un peu oublié au profit des Etats-Unis. Puis, une aide gouvernementale le relance en zone occupée.

Après la guerre, Paul Grimault s'impose comme un créateur exceptionnel avec le Petit soldat, court métrage de 1947, prix du dessin animé au festival de Venise en 1949, ex aequo avec Melody Time de Walt Disney (2). Il crée ensuite le fameux long métrage écrit avec le poète Jacques Prévert, La Bergère et le Ramoneur, présenté en 1952 dans une version désavouée par ses auteurs. La version définitive date de 1979 et est intitulée Le Roi et l'Oiseau. Un autre réalisateur de génie marque le début des années 1970 : René Laloux avec La Planète sauvage.

Les débuts de l'animation à la télévision française sont associés à la personnalité de Jean Image. Cet homme passionné de dessins animés produit plusieurs longs métrages (Jeannot l'intrépide en 1949) ainsi que de nombreuses séries télévisées, et crée une école consacrée au dessin animé. En décembre 1960, la télévision française diffuse pour la première fois une série d'animation de Jean Image : Joë chez les abeilles.

Très vite, on cherche des solutions ingénieuses afin de diminuer le coût de production des séries. Ainsi dans Picolo et Piccolette, série diffusée en 1964, le décor de fond est remplacé par des photographies. Les techniques d'animation originales vont se succéder au cours des années 1960 et 1970. L'invention la plus étonnante reste celle de l'animographe. L'appareil est proposé par Jean Dejoux au service de la recherche de la RTF (Radio-télévision française) en 1961. Il permet de réduire le nombre d'images à dessiner par seconde.

L'animographe est utilisé pour produire la première série des Shadoks. Ce dessin animé reste le symbole de la créativité française poussée à son extrême. La série de Jacques Rouxel réussit à diviser la France en deux au moment des événements de mai 68. "La diffusion des Shadoks le 28 avril à 20 heures 30 provoque immédiatement l'arrivée massive de 800 lettres de reproches et d'insultes." (3) Cependant, le scandale terminé, deux autres séries sont produites par l'ORTF (Office de radiodiffusion-télévision français) et diffusées dans les années 1970. Mais, en règle générale, le dessin animé s'appuie rarement sur des concepts originaux et préfère s'inspirer d'oeuvres préexistantes.

b) La richesse du patrimoine culturel

Le patrimoine culturel français dispose en effet d'un nombre important d'oeuvres susceptibles d'être adaptées en dessins animés. La littérature classique et la littérature enfantine offrent des personnages et des sujets qui ont connu une première renommée internationale par l'édition de livres ou de bandes dessinées.

Ces personnages déjà connus du grand public représentent des valeurs sûres pour convaincre les coproducteurs. En effet, les parents eux-mêmes incitent les enfants à regarder des films où ils retrouvent les histoires qu'ils ont lues dans leur enfance ; ces séries peuvent rassembler un public très large. La création française peut donc puiser largement dans un patrimoine culturel d'origine française ou européenne qui regroupe trois types d'oeuvres :

- la littérature classique, déjà abondamment exploitée par le cinéma et par les films d'animation : Les Misérables, Ivanhoé et Capitaine Fracasse, par exemple. Certaines oeuvres figurent traditionnellement dans la littérature destinée à la jeunesse et se prêtent par leur forme -- épisodes multiples et personnages récurrents -- à une adaptation facile : c'est le cas des Contes du chat perché de Marcel Aymé et des Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur.

- la littérature enfantine à laquelle on doit des personnages attractifs : Les histoires du père Castor, Monsieur Bonhomme, Tom-Tom et Nana ou Petit ours brun. Ces histoires, qui ont un caractère ludique et pédagogique, font l'objet de petits albums dans l'édition.

- la bande dessinée franco-belge dont les adaptations sont fréquentes et d'autant plus appréciées que la confusion entre dessin animé et bande dessinée est facilement entretenue. Babar est un des grands classiques de la bande dessinée pour les tout-petits : le célèbre personnage de Jean de Brunhoff est le héros d'histoires fondées sur la famille, thème qui constitue une tradition dans les programmes destinés aux plus jeunes. Les héros Tintin et Lucky Luke, qui bénéficient de la sympathie des enfants et des adultes, ont fait les premiers l'objet d'une adaptation en série d'animation télévisée. Aujourd'hui, les réalisateurs se tournent vers des personnages d'inspiration plus récente comme Blake et Mortimer ou Corto Maltese, qui sont devenus mythiques auprès d'un public d'adolescents et d'adultes.

L'exploitation du patrimoine culturel français et européen par la France s'est longtemps heurtée à la concurrence des Etats-Unis et du Japon, qui ont été les premiers à puiser dans ce patrimoine. Par exemple, la série adaptée du roman d'Hector Malot, Sans Famille (52 x 26'), est une production uniquement japonaise. De même, la plupart des longs métrages de Walt Disney sont des adaptations de contes européens.

c) La concurrence des Etats-Unis et du Japon

Les Etats-Unis et le Japon sont les premiers producteurs de dessins animés dans le monde en volume horaire et financier. Malgré la multiplication des écoles nationales d'animation après la seconde guerre mondiale au Canada et en Europe en particulier, les Américains et les Japonais sont restés maîtres dans l'art du dessin animé.

Le dessin animé passe au plan industriel avec la création, en 1924, des studios Disney à Hollywood. Le premier long métrage de Walt Disney, Blanche-Neige et les Sept Nains, est projeté en décembre 1937. Entre 1930 et 1940, l'animation américaine compte plusieurs jeunes producteurs et créateurs talentueux de personnages célèbres de cartoons : Walter Lantz (Woody Woodpecker), les frères Fleischer (Betty Boop et Popeye) et l'équipe de la Warner avec, entre autres, Tex Avery et Chuck Jones (Bugs Bunny). La Metro Goldwyn Mayer (MGM) connaît une époque de gloire de 1942 à 1954 grâce au talent de Tex Avery.

Cependant, vers la fin des années 1950, on assista à la fermeture de quelques studios américains de production de longs métrages d'animation. La MGM ferma son département animation en 1957 et la Warner en 1961. Parallèlement, la demande croissante de la télévision offrit un nouveau débouché au dessin animé, au-delà du cinéma. En 1957, William Hanna et Joseph Barbera entreprirent des séries pour la télévision. Il s'agissait de mettre au point un mode d'organisation planifié pour pouvoir produire deux heures d'animation par semaine. Walt Disney, dont la spécialité restait le long métrage, se lança également dans la production pour la télévision.

Les Américains, suivis de près par les Japonais, ont ainsi été les premiers à produire des dessins animés pour la télévision sur un modèle industriel et standardisé. Le recours systématique aux industriels du jouet, chargés de l'exploitation des produits dérivés, aidait à rentabiliser les séries. Les séries sont longues et permettent de mieux fidéliser le public des enfants. "Cette fidélisation n'a pas pour seul objectif l'augmentation de l'audience, elle cherche aussi à rentabiliser la série par les droits dérivés." (4 )

Profitant de la demande des télévisions étrangères, le Japon exportait à bas prix des séries d'animation déjà rentabilisées sur son marché intérieur. Il pouvait s'appuyer sur de puissantes firmes japonaises spécialisées dans la production de dessins animés. Toei animation, fondée en 1958, reste la plus importante : chaque année, elle réalise environ 250 épisodes de 26 minutes et quelques longs métrages. Le système de production s'appuie sur l'emploi d'une main d'oeuvre peu qualifiée avec des salaires très bas, une animation réduite (huit voire six images par seconde contre douze images pour les séries européennes).

Le style et le graphisme des séries sont souvent influencés par la personnalité de O Samu Tezuka, créateur d'Astro le petit robot en 1963. Comme le souligne Stéphane Le Bars, "sous la pression d'impératifs de productivité, il fut le premier à systématiser le recours à la technique des réutilisations de plans, visant à gagner du temps et à réduire les coûts." (5) . Les scénarios s'inspirent en grande partie de la culture européenne. Les producteurs japonais ont par exemple racheté les droits du livre Belle et Sébastien, écrit par Cécile Aubry, et réalisé une série (52 x 26'). Les exportations vers l'Europe sont ainsi facilitées. A l'inverse, la France, au début des années 1980, est loin d'avoir atteint le stade de développement industriel du dessin animé américain ou japonais qui lui permettrait d'exporter ses programmes.


B. Les difficultés de l'industrialisation en France


a) Les séries japonaises au secours de la programmation française

Les années 1980 ont donc été marquées par l'arrivée massive de dessins animés japonais sur les écrans français, la production française, encore au stade artisanal, ne pouvant faire face à la demande croissante des diffuseurs. En effet, avec la création de deux nouvelles chaînes hertziennes (la Cinq et M6) en 1985 et la privatisation de TF1 en 1987, le volume horaire des programmes jeunesse a fortement augmenté. En 1981, les trois chaînes existantes (TF1, A2, FR3) diffusaient 237 heures de dessins animés contre 2611 heures en 1989 pour les cinq chaînes hertziennes en clair (6) .

En 1978, Goldorak fut diffusé sur la deuxième chaîne française. Il initia le déferlement des séries d'action pour les garçons comme Albator, ou, plus tard, Dragon Ball Z. Le succès fut grand auprès des enfants. En 1979, le Japon proposa un autre aspect de sa production avec Candy, une série sentimentale pour les filles. En 1982, Jacques Mousseau, responsable du département des émissions pour la jeunesse à TF1, s'inquiétait du "quasi-monopole" (7) exercé par le Japon sur les écrans français. Il lançait alors un appel aux professionnels et aux pouvoirs publics pour construire une industrie française du dessin animé capable de concurrencer les productions étrangères.

Conscient de la nécessaire internationalisation du dessin animé français, Jacques Mousseau expliquait : "Le dessin animé est le domaine de la création télévisuelle qui se prête le mieux au montage d'opérations de coproduction et à une exploitation internationale des productions [...]. Une série de 52 épisodes de 26 minutes implique un investissement de 45 millions de francs environ. Des productions de cette importance doivent être amorties sur plusieurs pays" (8) .

Jacques Mousseau insistait aussi sur le rôle clé que pouvait jouer l'industrie du jouet dans le soutien au dessin animé. Selon lui, la France devait se donner les moyens d'adopter les mêmes principes que l'industrie du dessin animé japonaise ou américaine. Pour y parvenir, il conseillait, d'un côté, à l'Etat de créer les conditions nécessaires à l'épanouissement et au développement de l'industrie française du dessin animé et, d'un autre côté, aux chaînes de télévision de se placer au centre du dispositif. Le plaidoyer de Jacques Mousseau, sans être l'élément déclencheur de l'industrialisation du dessin animé en France, a permis une véritable prise de conscience de la part des professionnels et des pouvoirs publics.

b) Le tournant des années 1980

En janvier 1983, Pierre Ayma, président de l'Association française pour la diffusion du film d'animation, résume les difficultés de la production d'animation en France, lors des Assises du film d'animation français, à Lyon (9). Dans l'allocution d'ouverture de cette rencontre, il dresse un bilan de la production française, caractérisée par sa structure artisanale : un petit nombre d'ateliers, une industrie du dessin animé inexistante et un retard technologique important. Selon Pierre Ayma, plusieurs problèmes sont à résoudre : d'abord, adapter les aides, les avances et les primes qui ne tiennent pas encore suffisamment compte de la spécificité du cinéma d'animation ; ensuite, remédier à l'insuffisance de la production sur le territoire français ; enfin, assurer une meilleure reconnaissance de la profession par les organismes sociaux.

Pourtant, Pierre Ayma est persuadé que la France a tous les atouts potentiels pour devenir un acteur de premier plan dans le secteur de l'animation, même à la télévision : "nous pouvons produire des séries télévisées, dont la vocation n'est pas uniquement de faire vivre une profession mais plus encore de favoriser la création, de participer au rayonnement de la culture française et d'être l'un des facteurs de développement de plusieurs secteurs économiques" (10).

En 1983, cet appel pouvait sembler utopique. La France produisait une ou deux séries de 26 épisodes par an seulement. La profession était peu organisée et les créateurs trouvaient peu de débouchés. Le chômage concernait la majorité des professionnels de l'animation. Les premières Assises du film d'animation organisées à Lyon avaient retenu trois axes d'actions : faire reconnaître la spécificité du film d'animation dans l'ensemble de la production cinématographique, favoriser le développement d'une industrie française de production de séries télévisées et permettre la participation effective des professionnels dans la mise en place des technologies nouvelles appliquées à l'animation (11).

L'inquiétude grandissante face à l'invasion des programmes japonais, renforcée par les critiques sur le contenu violent des séries, provoqua un sursaut de la part des producteurs et des diffuseurs français. Peu à peu, les obstacles à l'industrialisation de la production française furent surmontés : un effort fut fait pour créer des séries de qualité et pour dynamiser la production française. Pour résister aux séries japonaises, la création de nouveaux studios fut encouragée par les pouvoirs publics qui menèrent une politique de soutien à l'animation pendant les années 1980. En 1988, le Syndicat des producteurs français de films d'animation (SPFA), dirigé par Christian Davin, fut créé pour servir les revendications des professionnels du secteur.

La détermination des professionnels de l'animation et l'aide des pouvoirs publics ont fait de la France le troisième producteur mondial de dessins animés derrière les Etats-Unis et le Japon. En 1997, la France a réalisé 262 heures de programmes pour une valeur de plus d'un milliard de francs (programmes d'animation aidés par le compte de soutien du Centre national de la cinématographie -- CNC). Dix ans auparavant, la durée des productions était seulement de 64 heures pour un montant d'environ 175 millions de francs. Cette vitalité est d'autant plus étonnante que l'animation demeure un secteur risqué et très coûteux.


C. Le financement difficile des dessins animés


Produire une série d'animation coûte cher : le délai de fabrication est long et le genre utilise beaucoup de main d'oeuvre. Le montage financier et la fabrication d'une série de 26 épisodes de 26 minutes demandent au moins deux ans. Le coût moyen d'une série est d'environ 40 millions de francs. Il peut être plus élevé pour une série de grande qualité (56 millions de francs pour Blake et Mortimer), mais descend rarement au-dessous de 35 millions de francs. En 1997, selon le CNC, le devis moyen d'une série de 26 x 26 minutes était de 50 millions de francs. Le coût horaire, proche de celui d'une fiction, était de 3,88 millions. C'est la preuve que la qualité est tirée vers le haut avec la demande mondiale. Les diffuseurs n'investissant pas beaucoup dans les programmes d'animation, les aides de l'Etat sont un soutien précieux pour le dessin animé français.


a) Le faible investissement des diffuseurs

Contrairement à la fiction et au documentaire, les diffuseurs interviennent peu dans le financement des oeuvres d'animation. Cependant, les investissements ont fortement augmenté : selon le CNC, l'apport des chaînes est passé de 33 millions en 1986 à 210 millions de francs en 1997. Des décrets fixent d'ailleurs des obligations de production pour les diffuseurs (12). Les chaînes ont, par décret dans leur cahier des charges, une obligation de contribuer à la production audiovisuelle nationale.

Seules TF1 et M6 ont des obligations précises d'investissement dans la production d'animation depuis 1997. TF1 a ainsi l'obligation de consacrer 0,6 % de son chiffre d'affaires par an à la commande d'oeuvres d'animation européennes ou d'expression originale française. Pour M6, le volume de commande est de 1 % du chiffre d'affaires. Pour France 2 et France 3, il n'existe pas d'objectif chiffré, mais "la société réalise un effort particulier dans le domaine de la production originale d'émissions pour la jeunesse. Elle coproduit pour un volume horaire fixé par le conseil d'administration des oeuvres d'animation et de fiction jeunesse" (13) .

La part de l'investissement des diffuseurs dans le devis des productions d'animation est en moyenne de 20 %. En légère augmentation, elle est passée de 16,1 % en 1993 à 21 % en 1997. Selon Christian Davin, "actuellement, en France, un diffuseur hertzien investit autour de 8 millions de francs pour une série de 26 x 26'. Cela convient pour une production dans laquelle la France n'est qu'un partenaire minoritaire. Pour un projet initié en France, c'est totalement insuffisant" (14). Les chaînes ne peuvent investir dans les mêmes proportions que pour un programme diffusé en prime time qui attire les plus fortes audiences. L'investissement des diffuseurs n'est pourtant pas négligeable et contribue à façonner la production française d'animation.

b) La politique des chaînes et leur évolution

Chaque chaîne mène une politique spécifique, mais la tendance générale va vers un intérêt croissant pour le dessin animé. On peut retracer l'évolution de l'investissement des chaînes en animation de 1991 à 1997 (l'année 1995, considérée comme exceptionnelle, n'est pas prise en compte 15) :


TF1 France 2 France 3 Canal + M6 câble
1991 23 38 48 10 0 0
1992 73 21 39 16 0 4
1993 30 19 41 12 7 3
1994 34 10 80 20 16 7
1996 44 7 51 30 24 5
1997 32 16 74 9 14 8

Source : d'après CNC Données en millions de francs (chiffres arrondis)

Même si certains chiffres sont contestés par les chaînes, on peut noter les évolutions ( 16). France 3 a doublé ses investissements entre 1993 et 1994 et maintient sa position de leader sauf en 1992, où TF1 la devance. Pour France 2, on observe une diminution régulière de ses investissements, malgré une légère remontée en 1997. Ce désintéressement de la principale chaîne publique française s'explique par le transfert des programmes d'animation jeunesse vers France 3.

L'objectif est la spécialisation de France 3 dans le domaine du dessin animé. La chaîne est ainsi le principal soutien de l'animation en France. En 1991, Mireille Chalvon, responsable des émissions jeunesse pour le service public, a développé une politique d'animation différente de TF1 avec une politique offensive de création de qualité (Babar, Tintin, L'album du Père Castor). "C'est ainsi que non seulement la Trois s'est taillé une belle réputation dans les émissions pour la jeunesse mais que la chaîne est devenue le premier coproducteur de dessins animés" ( 17) , explique Mireille Chalvon.

TF1 est le deuxième coproducteur français depuis 1993, avec 20 % des apports de l'ensemble des diffuseurs. La chaîne privée a décidé de reprendre en main une partie des programmes jeunesse dont la gestion avait été confiée à la fin des années 1980 à AB Production. Canal Plus est un intervenant important avec plus de 30 millions de francs investis en 1996. Ne posant pas le problème de la concurrence frontale, la chaîne est devenue un partenaire privilégié pour les productions nécessitant l'apport de deux diffuseurs nationaux. M6 s'est engagée dans une politique de coproduction depuis 1993 seulement, mais elle a plus que doublé ses investissements entre 1993 et 1994. Enfin, Canal J, pour les chaînes du câble, intervient de plus en plus en tant que coproducteur.

Selon Clémence de Bodinat, responsable de l'unité jeunesse sur M6, "produire un dessin animé est une opération lourde, avec un budget fixe. Et, pour maintenir la qualité et la réputation, on ne peut pas trop produire en même temps" ( 18) . Les budgets des services jeunesse des chaînes françaises sont peu élevés par tradition, en particulier en comparaison du volume horaire qu'ils représentent.

La faible participation des chaînes au financement des dessins animés n'empêche pas de fortes exigences envers les producteurs. Selon Stéphane Le Bars, "les chaînes demandent, en effet, des pourcentages sur les différentes recettes (ventes, édition vidéo, droits dérivés) largement supérieurs à leur part coproducteur [...]. Par ailleurs, les entorses aux contrats et aux décrets seraient fréquentes (paiement à la diffusion, exclusivité des droits excédant cinq ans...) sans parler de leur annulation pure et simple" ( 19).

La télévision par satellite bouleverse le marché avec la multiplication des chaînes pour enfants : Canal J, AB Cartoon, Télétoon, Disney Channel et Fox Kids se disputent le créneau. Pour les producteurs, l'arrivée de ces nouveaux diffuseurs n'est pas forcément signe de rentrée d'argent. Les chaînes par satellite n'ont pas les mêmes obligations en matière de coproduction que les chaînes hertziennes ou par câble. Cependant, les opérations se multiplient ( 20) : Télétoon a investi 500 000 francs en 1997 sur deux oeuvres avec le Canadien Nelvana, et Disney Channel a préacheté Patrouille 03 coproduit par France Animation et France 3. Pour respecter les quotas de diffusion applicables en Europe, les chaînes américaines implantées en France ont recours aux dessins animés français et européens. Les chaînes par satellite, en revanche, ne participent pas encore au système de soutien financier aux programmes audiovisuels mis en place par les pouvoirs publics.

c) Un secteur très soutenu par l'Etat

C'est en 1983 que les pouvoirs publics commencent à agir pour soutenir le secteur de l'animation française. Un plan d'action est mis en place par Jack Lang, ministre de la Culture : le Plan Image. "Quatre directions de travail étaient définies à l'époque :

- agir sur la demande de production ;

- agir sur l'offre de production en remotivant le milieu créateur ;

- organiser l'accès des créateurs et producteurs aux technologies nouvelles ;

- renforcer le potentiel de production et de fabrication" ( 21). Le Plan Image a permis la production de séries de grande qualité comme les Mondes engloutis.

En 1986, le Compte de soutien à l'industrie des programmes (COSIP), institué par la Loi de Finances, aide à financer les oeuvres audiovisuelles (OAV). Le COSIP est alimenté en partie par un prélèvement sur le chiffre d'affaires des chaînes de télévision. D'un apport moyen de 120 millions de francs par an (cf. tableau suivant), les aides du COSIP sont un apport essentiel pour les devis d'animation dans le système de financement français. En 1997, le COSIP représente en moyenne 9 % des apports financiers pour l'animation.

Evolution des aides du COSIP pour l'animation depuis 1989 :

Année Devis (en MF) COSIP (en MF)
1989 795,71 117,46
1990 567,27 123,07
1991 776,73 137,90
1992 761,72 112,40
1993 716,37 125,61
1994 909,21 107,86
1995 425,11 71,49
1996 1 103,48 176,33
1997 1 018,07 94,50

Source : CNC

Le COSIP accorde aux producteurs français des subventions automatiques ou sélectives (22). Pour l'aide automatique, le producteur d'une oeuvre d'animation diffusée une première fois sur une chaîne française reçoit une "subvention de réinvestissement", calculée sur la base de divers critères. Pour l'aide sélective, il s'agit d'accorder une subvention à des producteurs ne bénéficiant pas du soutien automatique, dans le souci d'encourager la création et la recherche.

En 1989, Catherine Tasca, ministre de la culture, décidait de l'ouverture du troisième guichet, appelé aussi guichet jeunesse. Le but était de favoriser le développement des programmes jeunesse à destination des chaînes publiques. Doté la première année de 100 millions de francs, il a été abaissé à 90 millions en 1990 et 1991. Le troisième guichet a ensuite été supprimé, mais il a joué un grand rôle dans l'accès de la France au troisième rang mondial de la production d'animation.

Des aides sont également accordées par le CNC sur crédits budgétaires de l'Etat dans le but de favoriser la création audiovisuelle. L'animation bénéficie ainsi d'aides spécifiques. En 1996, dix-neuf pilotes d'animation ont été aidés pour un montant moyen de 80 000 F. Le CNC participe aussi au développement des industries techniques, des nouvelles technologies et du multimédia. L'ensemble de ces aides constitue un atout majeur dans l'expansion et la réussite de l'animation française.

Pour parler de l'animation française, les spécialistes et acteurs du secteur, qu'ils soient nationaux ou étrangers, sont la plupart du temps élogieux. Certains mots reviennent constamment : qualité, originalité, talent, diversité. A l'instar des films cinématographiques, la notion d'auteur semble démarquer la production française de ses consoeurs américaine et japonaise. Pourtant, ce sont surtout les atouts industriels de la production d'animation française qui ont permis à la France d'atteindre le troisième rang mondial.




II. LES ATOUTS INDUSTRIELS DE LA PRODUCTION FRANÇAISE D'ANIMATION


La France s'est engagée depuis le milieu des années 1980 dans une politique d'industrialisation du secteur de l'animation qui a porté ses fruits. L'engouement pour la production de dessins animés attire aujourd'hui de nouveaux producteurs. Surtout, le développement des nouvelles technologies préfigure l'avenir de l'animation.


A. Une industrie dynamique


a) Les grands producteurs de séries d'animation

Le secteur de l'animation est très concentré en France. Selon le CNC, 58 entreprises bénéficiaient de l'aide du COSIP en 1994 et 1995. Les huit premiers producteurs (dont Saban International Production, Ellipse, AB Production et France Animation) réalisaient 50 % des durées et les dix-sept premiers 80 %. En 1996, 56 sociétés étaient comptabilisées dans le secteur de l'animation. Les six premiers producteurs (Saban International Paris, France Animation, Ellipse Animation, Carrère Films, Gaumont et PMMP) assuraient 50 % du volume. En 1997, le secteur s'est à nouveau concentré avec 36 entreprises seulement dont les quatre premiers producteurs (France Animation, Gaumont, Marina Productions, PMMP) assurent 40 % du volume. On remarque que France Animation, Ellipse et Saban International sont les producteurs les plus actifs depuis quelques années. En 1996, de nouveaux acteurs sont apparus sur le marché, attirés par le secteur de l'animation : Carrère Films, Gaumont et PMMP.

Selon Stéphane Le Bars, dans son étude de 1997 pour le SPFA (23) , on peut recenser 60 sociétés de production. Il distingue plusieurs types de producteurs selon leur origine ou leur spécialité :

- traditionnels (ex : France Animation) ;

- issus de la distribution jeunesse (ex : PMMP, Marina Productions, Saban International) ;

- fabricants (ex : Duran, Neurones) ;

- issus de l'édition (ex : Dupuis) ;

- issus de la production audiovisuelle (ex : Gaumont, Ellipse).

La société Marina Productions, dirigée par Claude Berthier, produit des programmes télévisés pour les jeunes. Créée en 1989, elle trouve son origine dans la société 4D, fondée en 1984 par Claude Berthier, spécialisée dans les licences. Dargaud, le principal éditeur de bandes dessinées en Europe, est devenu actionnaire en 1997 de Marina Productions, puis a pris le contrôle en février 1998 de Millésime Productions, une autre société spécialisée dans la fiction et l'animation. Parmi les récentes productions de Marina, on peut citer : Bonhomme (104 x 5') pour France 3, La dernière réserve (52 x 26') et Dog Tracer (26 x 26') pour TF1, La Princesse du Nil (26 x 26') pour France 2. Marina développe actuellement une nouvelle série d'animation avec M6, Caïus le Romain. Son savoir-faire dans le merchandising, la distribution et la production de télévision donne à Marina Productions un avantage pour accroître ses relations avec les Etats-Unis et développer les coproductions internationales.

France Animation est l'une des principales sociétés de production d'animation en Europe. Filiale de RMC Audiovisuel en 1984, France Animation devient producteur à part entière à partir de 1989. La société produit aujourd'hui en moyenne trois séries de 26 épisodes par an avec des partenaires internationaux tels que Ravensburger (Allemagne), BBC (Angleterre), Hanna Barbera (Etats-Unis) et Cinar (Canada). Elle crée des séries de qualité comme Albert le cinquième mousquetaire, Arsène Lupin et Ivanhoé. Dirigée par Giovanna Milano depuis 1997, France Animation est contrôlée par France Télécom et travaille principalement en collaboration avec les chaînes publiques françaises.

AB Productions est devenu, grâce à ses programmes familiaux, le premier producteur et distributeur français. Associée à TF1 pour les programmes jeunesse de Dorothée, la société a connu un succès international grâce à des sitcoms comme Hélène et les garçons et des dessins animés comme Kangoo. Dirigée par Claude Berda, elle est à l'origine de plusieurs séries d'animation : Les aventures de Christophe Colomb, Les Misérables, SOS Croco !, Triple Z.

PMMP, la société de Philippe Mounier, est la principale société française de production et de distribution de programmes d'animation pour enfants, tournée vers le marché international. PMMP prétend réaliser 14 % de son chiffre d'affaires en France. "On fait tout pour être le plus international possible. Mon point de départ n'est jamais une production pour les chaînes françaises", assure Philippe Mounier (24). La série Docteur Globule, diffusée sur TF1, a remporté un grand succès d'audience auprès des enfants.

Gaumont Télévision, producteur de fiction à l'origine, est l'une des sociétés de production audiovisuelle françaises les plus dynamiques à l'international. Gaumont Multimédia, sa filiale, a été créée pour investir le marché de l'animation après le succès commercial de la série Highlander. Dirigée par Marc du Pontavice, la société Gaumont a investi 150 millions de francs pour la production de trois séries d'animation : Home to Rent, Dragon Flyz et Sky Dancers. Elle a également ouvert son propre studio de fabrication et mis en place une politique de merchandising pour chacune de ses séries.

Ellipse Programme, la filiale de Canal Plus créée en 1987, est un autre producteur audiovisuel à avoir investi avec succès dans le domaine de l'animation. L'animation est le secteur qui a assuré la renommée internationale d'Ellipse avec Babar, la première série réalisée. En 1989, le Studio Ellipse est créé pour assurer la production des séries d'animation. En 1997, la société s'est réorganisée et a mis en place sept unités de production autonomes, dont trois concernent la production d'animation : Ellipsanime, Elma (qui concerne aussi la fiction) et le Studio Ellipse. Depuis, les réalisations ambitieuses se multiplient : Blake et Mortimer, Bob Morane et Corto Maltese.

b) Le maintien d'une production artisanale

Au-delà des grands producteurs, quelques sociétés indépendantes privilégient la production artisanale de dessins animés. Folimage est le symbole des défenseurs de cette tradition. Créée en 1984 et basée à Valence, la société est présidée par Jacques-Rémy Girerd et Patrick Eveno. Folimage produit et distribue des films d'animation à vocation éducative et culturelle. La société a pour principe de concevoir, réaliser, produire et distribuer elle-même. Elle n'a donc pas recours à la sous-traitance à l'étranger, contrairement à la quasi-totalité de ses consoeurs. En 1996, le chiffre d'affaires de Folimage était de 7 millions de francs.

Folimage développe, depuis sa création, une politique de production de séries télévisées de qualité, au contenu informatif et éducatif à destination des enfants. "Son pari ludique et pédagogique, Jacques-Rémy l'assume avec une quarantaine de personnes. Chez ces animateurs [...] l'informatique sert à la simulation (jamais à la création ni à l'exécution), les couleurs sont gouachées à la main et ce sont les enfants qui enregistrent les voix" (25) . La rigueur de ses principes a permis à la société d'obtenir une reconnaissance internationale. Folimage travaille avec de nombreux diffuseurs français et étrangers : France 3, Canal J, Canal Plus, la Télévision belge, la Rai ou Channel 4.

Les productions de la société sont récompensées par de nombreux prix. Ainsi, Ma petite planète chérie (série 26 x 5') a reçu le prix Unicef au Festival d'Annecy 1995 et le prix du meilleur film pour la jeunesse au Festival de Saint-Pétersbourg 1996. Cette série, au budget de 10,8 millions de francs, a été réalisée en collaboration avec la Fondation de France et une équipe de spécialistes de l'enfance, de géologues, de botanistes et d'écologistes (26) . Elle aborde plusieurs thèmes autour de l'écologie : le cycle de l'eau, les ressources de la forêt, par exemple.

La France possède certes une industrie dynamique et des sociétés de production très diversifiées dans le domaine de l'animation, mais celles-ci ne serviraient à rien sans une main d'oeuvre qualifiée. Parallèlement à l'industrialisation de sa production, la France a développé de nombreux centres de formation aux différents métiers de l'animation, uniques en Europe.

c) Recrutement et formation de la main d'oeuvre

Face à la technique et à la spécialisation des tâches requises par la production des séries d'animation (27), il a fallu mettre en place des centres de formation spécifiques. Après la fermeture de la structure spécialisée de l'IDHEC en 1968, le CFT Gobelins a créé en 1974 un département d'enseignement à l'animation.

Au CFT Gobelins, l'enseignement se fait en liaison étroite avec les professionnels du secteur de l'animation. Pour garantir la bonne intégration des étudiants dans le marché de l'emploi, le recrutement se fait sur concours. En 1995, une formation de deux ans au poste d'assistant-animateur était proposée avec 20 postes pour 750 candidats (28). L'enseignement délivre des cours sur les techniques du dessin animé (avec de nombreuses applications pratiques) et sur l'initiation au dessin animé par ordinateur ; il s'inscrit dans un contexte de culture générale sur l'image et le cinéma d'animation (historique et esthétique du cinéma d'animation ; visionnage et analyse de films). Deux autres formations d'un an sont proposées : animateur-infographiste pour l'apprentissage de la conception d'images 2D et 3D ; concepteur technique en dessin animé pour le story-board (découpage en images du scénario, plan par plan) et pour le lay-out (mise en place des décors et des personnages pour chaque cadrage de prise de vues) (29).

Si le CFT Gobelins reste le plus réputé, les écoles de formation aux techniques du dessin animé sont nombreuses en France. On peut en citer quelques-unes : l'Ecole nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD), l'Ecole Emile Cohl à Lyon (formation en 4 ans avec une année de spécialisation en dessin animé ; module professionnel de 9 mois pour les images 3D). Leur nombre et la qualité de leur enseignement sont un atout essentiel du succès de la production française d'animation. Par ailleurs, pour répondre aux besoins des professionnels, des stages se sont multipliés au sein des entreprises en liaison avec des écoles ou des organismes de financement. Ils sont orientés vers l'apprentissage d'une tâche précise comme le lay-out, par exemple. On peut regretter cependant que beaucoup d'étudiants talentueux préfèrent travailler aux Etats-Unis pour des salaires bien supérieurs à ceux pratiqués en France.

Au mois d'octobre 1999, une nouvelle école d'animation doit s'ouvrir à Valence, où est situé Folimage, le studio de Jacques-Rémy Girerd. L'Atelier-Ecole du film d'animation offrira la possibilité aux étudiants européens sélectionnés de réaliser un ou plusieurs films d'animation pendant les deux années que dure la formation. "Les dimensions écriture/narration, cinéma et culture générale seront au coeur des enseignements" (30). C'est encore la preuve que la France oeuvre sans cesse à encourager la formation des talents.

Il est difficile de recenser le nombre de personnes travaillant en France à la fabrication des dessins animés. Les intermittents sont nombreux dans la profession, en tout cas pour les tâches techniques. Avec la demande croissante en dessins animés, les années 1990 ont connu une pénurie de professionnels qualifiés. Cette qualification est d'autant plus nécessaire que l'ordinateur est un outil de plus en plus utilisé dans la fabrication des dessins animés : "demain, des logiciels d'assistance au lay-out et au story-board remplaceront le stylo et la gomme, sans changer pour autant la formation de base" (31) .

En 1991, Stéphane Le Bars estimait à environ un millier le nombre de personnes employées au total dans le secteur de l'animation en France (32). En 1998, le SPFA dénombre près de 2000 professionnels de l'animation. Le nombre de scénaristes professionnels du dessin animé est passé d'une dizaine au début des années 1980 à au moins une trentaine aujourd'hui. Le seul organisme de formation reconnu par la profession est le CFT Gobelins. Depuis 1991, tous les deux ans, un stage de formation à "l'écriture de scénario pour séries TV en dessin animé" est proposé à des candidats sélectionnés sur dossier, test et entretien. Ces chiffres ne doivent pas cacher le fait que l'animation est un secteur où la main d'oeuvre est le poste essentiel de dépenses.

La créativité française s'exprime non seulement dans les écoles de formation à l'animation, mais aussi dans les nouvelles technologies de l'image. En effet, la possibilité de créer des dessins animés en trois dimensions par ordinateur a passionné, dès les débuts, de nombreux créateurs français.



B. L'avancée technologique

a) La France, pionnière de la 3D

Dans le domaine de la 3D, la France a développé un savoir-faire reconnu dans le monde entier. Elle possède de nombreuses entreprises spécialisées dans ce secteur, avec souvent une compétence hybride 2D/3D. L'expérience accumulée permet aux prestataires français de maintenir une certaine avance par rapport à la concurrence étrangère, américaine en particulier. Les séries d'animation en 3D qui ont été menées à terme sont majoritairement françaises.

Les productions les plus célèbres sont celles de la société Fantôme. Les Fables géométriques, adaptées des Fables de La Fontaine, ont demandé trois ans de travail pour aboutir en 1992 à une série de 50 épisodes de trois minutes en version courte et cinq minutes en version longue. Puis, produite entre 1993 et 1996, la série Insektors I et II (26 x 13') a montré les progrès réalisés en quelques années au niveau du graphisme. Elle constitue la preuve que la technique peut se soumettre à la créativité lorsque les outils technologiques sont suffisamment maîtrisés. Selon Georges Lacroix (33), il était impossible de concevoir un pilote "classique" pour présenter le projet car il aurait coûté trop cher. Un film de sept minutes (Making of Insektors) a donc été présenté en 1993 aux différents partenaires pour montrer les étapes successives de la réalisation. Trois années ont été nécessaires uniquement pour développer le projet. Enfin, en 1996, la série Tous sur orbite (260 x 2') a initié la pédagogie en 3D en expliquant à l'aide de schémas simples le système solaire.

Les séries françaises ont obtenu de nombreuses récompenses internationales. Insektors a reçu aux Etats-Unis un Emmy Award pour la meilleure série d'animation en 3D à la télévision, Les Quarx (ZA Production, 1991), le prix José Abel du meilleur film d'animation à Espinho. De plus, ces séries, appréciées pour leur originalité et leur créativité, s'exportent très bien : la série Insektors a été achetée par 160 pays.

Les films d'animation en 3D bénéficient d'aides du CNC. En 1996, le film d'animation a reçu 15 % des aides aux nouvelles technologies attribuées par le CNC aux productions françaises sur un total de 5,7 millions de francs. L'animation 3D est spécifiquement soutenue par 36 % des aides que le CNC attribue pour la Recherche et le Développement.

Tous ces atouts pourraient faire de la 3D la production essentielle en matière d'animation, mais les contraintes sont nombreuses. Le rythme de production, même s'il va en s'accélérant, est encore trop lent. Les coûts de production de ces séries sont très élevés : 110 000 à 140 000 F la minute contre 50 000 F pour le dessin animé traditionnel (34) . Les chaînes sont donc réticentes à investir dans ce genre de format et les commandes sont peu nombreuses. Les principaux partenaires des producteurs sont France 3 et Canal Plus.

b) Les sociétés

Les séries d'animation en trois dimensions pour la télévision sont une des nombreuses applications des logiciels 3D. Les entreprises qui utilisent cette technologie travaillent en général dans le secteur de la publicité ou pour les parcs de loisirs. Certaines se sont spécialisées dans les séries, la plus célèbre étant la société Fantôme. Cependant, la plupart du temps, elles privilégient la diversification pour mieux rentabiliser un secteur de production très coûteux. Depuis le début des années 1990, la multiplication des effets spéciaux dans le cinéma a permis à ces entreprises de faire valoir leurs services. Plusieurs ont participé à des productions américaines. Ainsi, Buf Compagnie a travaillé sur le dernier long métrage de la série des films Batman, produit par Warner.

Quelques sociétés, créées au milieu des années 1980, sont considérées comme les véritables instigatrices de l'engouement de la France pour l'animation en trois dimensions : Fantôme et ZA Production pour les séries, Mac Guff Ligne pour la publicité.

La société Fantôme a été créée en 1985 par Georges Lacroix et Renato. Sa célébrité est due à la création et au succès de plusieurs séries pour la télévision : Les Fables géométriques, Insektors, Tous sur orbite. Fantôme, à l'instar de la plupart de ses confrères, a développé ses propres logiciels. L'entreprise offre de cette manière une compétence unique et donne une plus grande souplesse à ses réalisations. Son chiffre d'affaires est passé de 2 millions de francs en 1985 à 18 millions en 1994. Malgré la réussite internationale, les difficultés financières de la société ont récemment mis en péril sa viabilité. Au mois d'avril 1998, la société devait déposer son bilan au tribunal de commerce de Nanterre (35). Elle a finalement trouvé une solution de redressement. Une société de jeux vidéo a accepté de la racheter. Trois séries sont d'ailleurs en cours de réalisation ou en préparation (36) : Histoires de crayons (50 x 2'), Girafes d'après Mordillo en coproduction avec la société canadienne Cactus, et Insektors III (13 x 26').

ZA Production est la société de Stéphane Singier, Maurice Benayoun et Thierry Prieur. Elle a réalisé une série d'animation 3D, Les Quarx, qui a connu un grand succès critique. Quant à la société Mac Guff Ligne, elle a construit sa réputation dans le domaine de la publicité en proposant de l'image de synthèse haut de gamme. Depuis 1991, elle intègre la 2D et la 3D grâce à ses propres logiciels. Elle a tenté de se lancer dans la série avec Imageries numériques, inspirée des contes de Perrault. Aujourd'hui, elle se diversifie dans les effets spéciaux pour le cinéma.

Certaines sociétés s'appuient sur des compétences uniques. C'est le cas de Medialab, filiale de Canal Plus, avec son système d'animation en temps réel. La société a investi depuis peu le créneau des séries d'animation 3D : elle a réalisé Donkey Kong Country (26 x 26'). L'attrait de la 3D n'est pas en déclin puisque Sparx a été créée par Guillaume Helloin et Jean-Christophe Bernard en février 1995. Filiale d'Humanoïds Groupe (ex-Convoy), la société s'intéresse, d'une part, au marché des trucages numériques et, d'autre part, à celui de l'animation 3D. Depuis mars 1998, elle travaille ainsi à la réalisation de Rolie Polie Olie (13 x 26'), coproduite par le Canadien Nelvana et Métal Hurlant Productions, filiale d'Humanoïds Groupe (37) .

c) Les perspectives d'avenir

Les entreprises du secteur des nouvelles technologies, des effets spéciaux et de l'animation 3D ont des tailles et des moyens variés. Le chiffre d'affaires de Medialab, filiale d'un grand diffuseur, est dix fois plus élevé que celui de la petite société ZA Production. Chaque société a développé un talent et un savoir-faire particuliers, mais toutes partagent la même passion pour les nouvelles images :

Société CA (96)* Effectif** Spécialités
BUF COMPAGNIE 20 MF 25/45 image de synthèse 3D
EX MACHINA 50 MF 35/70 2D et 3D / département cinéma
MAC GUFF LIGNE 12 MF 16/20 2D et 3D / publicité
MEDIALAB 100 MF 30/130 animation en temps réel
SPARX 13,5 MF 35 effets spéciaux 2D et 3D
ZA PRODUCTION 10 MF 15 animation 3D

D'après Le film français (38) * CA : chiffre d'affaires (en millions de francs)

** Effectif : permanent / maximum

Les difficultés financières rencontrées par la société Fantôme ont convaincu la profession de lancer un appel aux pouvoirs publics par l'intermédiaire de Catherine Trautmann, ministre de la Culture. Neuf sociétés (Buf Compagnie, Duran Duboi, Ex Machina, Fantôme, Gribouille, Mac Guff Ligne, Medialab, L'Usine à Images, ZA Productions) veulent proposer aux pouvoirs publics une plate-forme de revendications visant à développer le secteur des nouvelles technologies, de l'animation et des effets spéciaux. "Elles représentent un chiffre d'affaires de 254,5 millions de francs en 1996 (contre 192,5 millions de francs pour 8 sociétés en 1994) et emploient 391 personnes en moyenne (255 en 1994)" (39).

Georges Lacroix, directeur de la société Fantôme, déplore depuis plusieurs années le manque de soutien des pouvoirs publics et des organismes de financement : "Je reconnais que c'est grâce au CNC et à l'Ifcic [Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles] que nous existons encore aujourd'hui. Mais ils n'ont pas les moyens de favoriser un vrai démarrage du secteur, que les banques et les investisseurs considèrent encore comme à risque, alors qu'aux Etats-Unis, ils ont compris que les nouvelles images c'était l'avenir" (40). Un investissement plus important de la part du CNC et de l'Ifcic aiderait les entreprises à développer des projets à plus long terme, encourageant ainsi la créativité et le maintien en France des étudiants formés aux nouvelles technologies.

En définitive, la situation actuelle de l'animation 3D ressemble à celle de l'animation traditionnelle au début des années 1980. On peut donc espérer qu'un effort de relance de la part des pouvoirs publics permettra aux chaînes de télévision de diffuser un nombre croissant de séries d'animation 3D. La volonté d'exploiter un secteur aussi dynamique s'affirme en particulier dans des projets liés aux plans de développement régionaux. Plusieurs villes se concurrencent : Valence, Montpellier, Arles, Valenciennes et Angoulême qui semble la mieux placée pour devenir la capitale des métiers de l'image.


C. L'exemple du Pôle Image : un projet de développement culturel et économique

Depuis janvier 1997, un syndicat mixte a été constitué par le conseil général, la ville et la chambre de commerce et d'industrie pour développer le projet du Pôle Image d'Angoulême. L'investissement est de 600 millions de francs. L'idée est née de la volonté d'organiser un projet économique et culturel dans le secteur des images, de la bande dessinée aux images de synthèse, en passant par le multimédia et les jeux vidéo. Le projet s'appuie sur le patrimoine et la formation que possède déjà la ville d'Angoulême.

a) Angoulême, un site propice

(41)

Depuis 1974, Angoulême accueille le Festival international de la bande dessinée. Le Musée de la bande dessinée, intégré au Centre national de la bande dessinée et de l'image (CNBDI), a été inauguré en janvier 1991. Il présente au public de nombreuses collections qui retracent l'histoire de la bande dessinée francophone depuis 1830 et une section spécifique est consacrée à la bande dessinée américaine. Le dessin animé est apparu comme la suite logique de l'expansion du CNBDI.

La formation au dessin animé est devenue une spécificité de la ville d'Angoulême. Ainsi, le Laboratoire d'imagerie numérique (LIN), situé dans les locaux du CNBDI, est un atelier de production expérimentale et un centre de formation en image calculée. Depuis octobre 1996, il est dirigé par René Laloux. Des stages de lay-out, de story-board et de checking-compositing (42) (phase finale d'exécution avant le tournage avec assemblage et vérification des éléments de chaque plan) sont proposés par le CNBDI, pour répondre aux besoins des studios de dessins animés. Le LIN est membre fondateur de CITE (Centre for International Technology and Education) qui regroupe des universités et des écoles d'art européennes. Avec le soutien du programme Média 2 de l'Union Européenne, plusieurs de ces établissements dont le CNBDI délivrent un diplôme européen : EMMA (European Media Master of Art).

Le CNBDI n'est pas le seul organisme à dispenser à Angoulême un enseignement tourné vers les images. Au total, la ville compte cinq écoles qui proposent des formations supérieures aux métiers de l'image et du son. Parmi elles, l'Ecole supérieure de l'image (ESI), présente également à Poitiers, forme des créateurs-réalisateurs, des auteurs-concepteurs et des producteurs. Le Lycée de l'image et du son d'Angoulême (LISA), ouvert depuis 1989, propose deux sections BTS, audiovisuel et communication visuelle. Profitant de ce vivier d'étudiants, plusieurs studios de création de dessins animés se sont installés à Angoulême ou dans les environs depuis 1994 (43).

b) Les trois axes du projet

Le Pôle Image comporte trois volets : la mise en place d'un centre de ressources correspondant aux besoins des entreprises, l'implantation d'entreprises liées à la création et à la composition d'images, la promotion et l'accès de ces technologies au grand public et aux professionnels.

Le volet formation inclut la création d'un centre de formation permanent aux métiers de l'image, en collaboration avec le CNC et le SPFA. L'Ecole des métiers du cinéma d'animation (EMCA) proposera une formation initiale en deux ans avec une spécialisation la deuxième année en préproduction ou en animation. Ce cursus devrait démarrer à la rentrée de septembre 1999, mais l'école ouvre dès septembre 1998 et accueille des étudiants en formation continue. L'EMCA sera le complément indispensable des formations déjà existantes dans la région d'Angoulême et, plus généralement, en France.

Le Pôle Image a pour ambition d'attirer un nombre croissant d'entreprises, en leur proposant un vivier de créateurs et de techniciens de l'image. A Angoulême, le secteur des industries de l'image regroupe aujourd'hui près de 400 personnes pour une vingtaine d'entreprises. Le chiffre d'affaires global est de 250 millions de francs. A moyen terme, environ 1 000 emplois doivent être créés dans le secteur.

"Au total, nous avons identifié 30 segments économiques sur lesquels nous tablons pour le développement du Pôle Image, explique Paul Mourier, directeur général des services au conseil général de la Charente. Avec une priorité pour les studios d'animation, le multimédia, les jeux vidéo et les métiers de la simulation 3D" (44) . Un tel regroupement sur un lieu géographique déterminé devrait favoriser les synergies. Il existe en effet de nombreuses complémentarités entre les métiers de l'image : animation et jeux vidéo par exemple.

Le CNBDI attire chaque année environ 40 000 visiteurs. Le Festival connaît une forte fréquentation (environ 100 000 personnes). De nombreuses activités sont proposées au public pour lui faire découvrir les multiples facettes de la bande dessinée. De la même façon, le Pôle Image doit développer plusieurs animations tournées vers le grand public : un monument de cinquante mètres de hauteur représentant la célèbre fusée de Tintin ; un musée du cinéma qui présentera des collections d'appareils de projection et de films ; une maison de l'animation, en association avec la Warner, "sorte de musée vivant et interactif de tout ce qui touche au dessin animé" (45) . Si ce projet aboutit, Angoulême deviendra la capitale française du dessin animé, après avoir été celle de la bande dessinée pendant vingt-cinq ans.

Comme le souligne Nick Rodwell, directeur de la Fondation Hergé qui détient les droits relatifs à Tintin, "la France est l'un des rares pays qui croient aux investissements culturels, il faut toujours pousser les rêves. Bilbao a su le faire avec le Musée Guggenheim, pourquoi pas Angoulême ?" (46) . Ce propos rejoint l'idée que la France demeure le chef de file des défenseurs de "l'exception culturelle" en matière de programmes audiovisuels, et a fortiori pour les dessins animés destinés aux enfants.

Forte de ses atouts culturels et industriels, la France s'est imposée comme un partenaire incontournable sur le marché international des programmes d'animation. Parallèlement à l'industrialisation de sa production, le dessin animé français a dû s'internationaliser pour répondre à la demande mondiale et trouver les apports étrangers nécessaires au montage financier des séries d'animation.

© Lélia Maurellet

 
 

© 2005 - Lélia Maurellet