L'internationalisation du dessin animé français - Mémoire de maîtrise (1998)

CONCLUSION

"Le domaine du dessin animé s'étend par-dessus les frontières. Ce que nous faisons en Amérique peut être projeté en France ou en Allemagne, aux Indes ou au Japon, à travers le monde des enfants et des hommes. C'est là que le dessin animé d'art ou le dessin animé éducatif trouvent leur raison d'être" (1). Cette affirmation de Walt Disney, le maître du dessin animé américain, pourrait aussi bien s'appliquer à la production d'animation française aujourd'hui. En effet, le dessin animé est bien un genre sans frontières par les contenus qu'il véhicule. Si la France cherche à exporter ses programmes, c'est d'abord pour des raisons économiques. Pourtant, ce mémoire a montré que la pénétration des marchés étrangers se pose autant en termes économiques que culturels. Le dessin animé français trouve sa "raison d'être" par la conciliation de ces enjeux.

L'analyse des innovations et les exemples de succès remportés ont permis d'illustrer le dynamisme des dessins animés français à l'étranger, ainsi que les atouts sur lesquels ils reposent. La France a su se doter d'une industrie compétitive ; elle a anticipé les évolutions futures en se spécialisant dans les nouvelles technologies ; elle a donné aux créateurs les moyens de développer leur savoir-faire et leur talent au moyen d'une solide formation. La politique française de soutien des pouvoirs publics aux industries culturelles a profité au secteur de l'animation, d'autant plus qu'elle a été relayée en Europe par le programme Média. Les aides communautaires ont catalysé les potentiels de ce secteur industriel et artistique pour faire face à la concurrence américaine et japonaise : la solidarité européenne s'est révélée un rempart efficace. Tous ces facteurs ont créé les conditions nécessaires à l'épanouissement et au développement du dessin animé en France et permis la naissance d'une industrie prospère et concurrentielle.

Si la difficulté de financement des programmes d'animation reste un problème essentiel, les remèdes existent. Les producteurs français ont commencé à explorer des voies le plus souvent liées à l'internationalisation. Les coproductions avec l'étranger ont apporté les ressources financières nécessaires, tout en favorisant les échanges culturels et l'apprentissage de savoir-faire différents. Cette étude a exposé d'autres stratégies possibles : la vente sur le marché américain, la baisse des coûts de production grâce à l'informatisation, et la multiplication des sources de revenus (exploitation de licences par exemple).

L'orientation vers les marchés extérieurs de la production française d'animation est donc apparue comme une nécessité. Mais la réalité de ces marchés implique des contraintes : cette étude a montré que la soumission aux standards internationaux et aux spécificités nationales, en particulier sur le plan éthique, peut altérer l'oeuvre originale. La liberté de l'artiste est-elle pour autant remise en question ? Sur le plan du contenu, la réponse est difficile. Si le dessin animé se vend bien à l'étranger, c'est d'abord parce qu'il véhicule un contenu qui traverse les espaces culturels : aux yeux des enfants, le merveilleux, le rythme de l'action, le défilement des images, l'attachement aux personnages, les effets comiques priment sur les particularismes. Tout scénario comporte une part de "recette" connue et appréciée des enfants, mais la liberté des créateurs n'est pas fondamentalement entamée. Le risque d'uniformisation des formes et des contenus, s'il existe, est atténué par la capacité de renouvellement que l'animation française a montrée dès ses débuts en ce qui concerne les sources d'inspiration, les figures esthétiques et les moyens technologiques mis en oeuvre.

Sur le plan de l'audiovisuel, la multiplication des nouvelles chaînes thématiques par câble et par satellite donne au dessin animé de nouveaux débouchés. De plus, les perspectives de croissance du secteur des programmes jeunesse sont encourageantes et devraient encore progresser. Paradoxalement, alors que le marché s'accroît, on observe une concentration du secteur de l'animation, avec la disparition de nombreux producteurs en raison de regroupements importants.

Commencé en 1997, le mouvement semble inéluctable dans la mesure où la demande en séries d'animation va se stabiliser : en effet, l'accélération de la production dans la dernière décennie a provoqué une augmentation du stock de programmes disponibles. Or, le genre se prêtant à de multiples rediffusions, les commandes tendent à diminuer. Selon Dominique Poussier (2), il existe actuellement un trop grand nombre de producteurs sur le marché. Pourtant, l'éventuelle disparition de plusieurs sociétés de production peut être interprétée comme un signe de maturité du marché.

En même temps, on peut s'interroger sur le maintien de la diversité des programmes si seuls les producteurs les plus solides résistent. Qu'adviendra-t-il des petites sociétés artisanales comme Folimage qui propose des séries originales au contenu éducatif ? Le renouvellement de la demande, promis par les chaînes thématiques, pourrait les sauver, dans la mesure où ces chaînes s'adressent à des publics spécifiques.

La variété des dessins animés, tant au niveau du format que du contenu, donne aux diffuseurs la possibilité de se différencier. Le 26 minutes, format-roi de l'international, est de plus en plus concurrencé par des formats plus courts comme le 7 minutes. Surtout, le public des enfants auquel était destinée la majorité de la production d'animation s'élargit en direction des adultes. Michael Hirsh, directeur de Nelvana, pense qu'un des "facteurs décisifs de l'avenir de l'animation repose sur l'acceptation d'un langage universel, qui gagnerait du terrain parmi les jeunes et les adultes [...].L'évolution se faisant partout dans le monde sur le même modèle, il est persuadé qu'un langage universel naîtra au siècle prochain ; ce sera la victoire de l'animation" (3).

Cette victoire de l'animation est celle de l'image, un art encore en devenir : cette étude a évoqué l'avenir prometteur des nouvelles technologies (du film entièrement réalisé par ordinateur en trois dimensions aux intégrations 2D/3D en passant par les effets spéciaux). Le projet du Pôle Image s'inscrit dans cette optique ; il repose sur les interactions et la complémentarité entre bande dessinée, jeux vidéo, animation 3D et images de synthèse, et ouvre pour la France comme pour l'animation un nouveau champ de développement économique et culturel.

L'animation française se caractérise donc aujourd'hui par une industrie prospère qui sait combiner qualité et quantité. Elle est dotée de suffisamment de talents pour se renouveler continuellement sans trop faire de concessions aux impératifs économiques. Néanmoins, la vitalité de ce secteur repose essentiellement sur la télévision, alors que, en ce qui concerne le court métrage et le long métrage, le cinéma d'animation français est dominé par la concurrence américaine. La plupart des longs métrages diffusés en salle proviennent en effet des Etats-Unis. Le quasi-monopole détenu par Disney est depuis peu remis en question par les récentes tentatives de quelques studios américains, comme ceux de la Fox (Anastasia) ou de Dreamworks (The Prince of Egypt). Or, la France n'a pas les moyens de participer à ce combat de Titans. Elle produit rarement et avec difficulté des longs métrages pour le cinéma, d'autant plus que les distributeurs et les diffuseurs français sont réticents à s'engager dans ce type de production.

Le cinéma d'animation français pourra-t-il un jour rivaliser avec les longs métrages américains ? En tout cas, certains producteurs audiovisuels français croient en cette diversification, comme Ellipsanime qui a prévu la sortie d'un long métrage intitulé Babar pour la fin de l'année 1999. Voilà un domaine qui reste à conquérir et qui permettrait de lutter contre l'hégémonie américaine tant décriée par les Européens lors des négociations internationales dans le domaine des industries culturelles.

© Lélia Maurellet


 
 

© 2005 - Lélia Maurellet