L'internationalisation du dessin animé français - Mémoire de maîtrise (1998)

DEUXIEME PARTIE : L'INTERNATIONALISATION DU DESSIN ANIME FRANÇAIS :
UNE REPONSE AU PROBLEME DE FINANCEMENT

I. LES COPRODUCTIONS AVEC L'ETRANGER
A. Le système des coproductions
B. Les pays coproducteurs
C. Les réalisations
II. LA COOPERATION EUROPEENNE, UN FACTEUR DE DEVELOPPEMENT
A. Cartoon, une initiative fructueuse du programme Média
B. L'animation européenne ou la rencontre des talents
III. LA RENTABILISATION DES PROGRAMMES
A. Les marchés de programmes audiovisuels et spécialisés
B. L'exportation
C. Les produits dérivés

Pour faire face à la difficulté de financement des séries d'animation, la France a dû s'engager dans une politique de coproduction avec l'étranger. Le dessin animé français n'aurait pu atteindre son stade de développement actuel sans les partenariats conclus avec l'étranger. L'animation française ne peut être envisagée aujourd'hui hors du contexte européen avec l'unification des réglementations qui se dessine à terme à l'échelle de l'Union européenne. Pour rentabiliser les dessins animés, deux solutions passent par l'internationalisation : l'exportation des programmes et l'exploitation des produits dérivés.


I. LES COPRODUCTIONS AVEC L'ETRANGER



A. Le système des coproductions

L'industrialisation du dessin animé français a été encouragée grâce à l'apport de ces financements étrangers ; ils ont permis de compenser la faiblesse de l'investissement des diffuseurs nationaux ainsi que l'insuffisance de la capacité financière des producteurs. Les apports étrangers en amont de la production se font en majorité par le biais de la coproduction, mais également en prévente (1).


a) Un apport financier essentiel

Depuis le début des années 1990, on observe que plus de 80 % des volumes horaires et des devis d'animation bénéficient de la collaboration internationale (en coproduction ou en prévente). Selon le CNC, les oeuvres d'animation aidées par le COSIP représentent le genre le plus tourné vers l'international.

On peut comparer les apports étrangers pour l'animation, la fiction et le documentaire depuis 1994 :


1994 1995 1996 1997
Animation 32,1 % 45,2 % 42 % 45 %
Fiction 10,4 % 12,1 % 9 % 10 %
Documentaire 6,5 % 7 % 6 % 8 %

Source : CNC

Ces chiffres montrent la très forte dépendance de l'animation envers l'étranger avec 41 % d'apports extérieurs en moyenne. A l'inverse, la fiction, et plus encore le documentaire, sont des genres peu tournés vers l'international, du moins au niveau du financement, avec un apport moyen de 10,5 % pour la fiction et de 7 % pour le documentaire. Cette spécificité des programmes d'animation est renforcée dans le cas des séries de type 26 x 26' dont le budget est plus important que pour un programme court. En effet, le financement d'une série télévisée d'animation au budget de 40 millions de francs ne peut être assuré qu'à hauteur de 45 % par des capitaux français.

Selon Stéphane Le Bars (2), la répartition moyenne du financement d'une série 26 x 26' est la suivante sur un devis de 40 MF (millions de francs) :

- le ou les producteurs délégués : 2 MF

- le ou les diffuseurs : 8 MF

- le COSIP : 6,2 MF

- les SOFICA : 1,8 MF

- les préventes : 5 MF

- les coproductions avec l'étranger : 17 MF.

L'étranger apporte donc, par l'intermédiaire des préventes et des coproductions, environ 22 millions de francs, soit 55 % du financement de la série. On comprend donc le rôle essentiel du recours à l'étranger pour le montage financier d'une série et plus généralement d'une oeuvre d'animation.

b) La stratégie des chaînes

Les diffuseurs français ont tous développé une politique de coproduction et de prévente avec l'étranger, en plus des exportations. L'engagement à l'international varie cependant selon les chaînes de télévision. Dominique Poussier (3), responsable des programmes jeunesse de TF1, estime que le recours à la coproduction est principalement lié au besoin de financement des séries d'animation. La chaîne a l'obligation légale de consacrer 0,6 % de son chiffre d'affaires en coproduction dans les dessins animés, soit environ 50 millions de francs par an. Elle dépasse cet objectif en produisant six à huit séries (26 x 26') chaque année. Selon Dominique Poussier, deux partenaires étrangers au minimum sont nécessaires pour coproduire ces séries.

Les apports étrangers par chaîne (premier diffuseur), en millions de francs, en 1994 sont (4) :

 


TF1 France 2 France 3 Canal Plus M6
Europe 28,16 6,83 49,56 51,06 0
Hors Europe 35,19 2,34 52,06 13,51 48,00
Total 63,35 9,17 101,62 64,57 48,00

Source : CNC, traitement INA

La stratégie de coproduction internationale des diffuseurs français est en grande partie déterminée par leur politique d'investissement en matière d'animation. On remarque ainsi que France 3, avec plus de 100 millions de francs de participations étrangères, est la chaîne qui coopère le plus avec l'étranger. Ceci s'explique par son rôle de soutien à l'animation et sa politique de production de qualité qui nécessite des budgets élevés. France 2 confirme sa politique de désengagement dans la production de dessins animés au profit de France 3 : elle n'est associée à des partenaires étrangers que sur une seule série. TF1 et Canal Plus ont une position intermédiaire avec plus de 60 millions de francs de participations étrangères chacune. Enfin, M6 privilégie un partenariat exclusivement en dehors de l'Europe.


B. Les pays coproducteurs


Si la coproduction avec l'étranger est une nécessité financière, le choix du ou des pays partenaires dépend de divers facteurs, historiques ou économiques par exemple.

a) La répartition des coproductions par pays

Pour trouver des coproducteurs à l'étranger, les producteurs français se tournent vers les pays qui ont les moyens d'investir et qui ont développé des structures assez solides de création et de fabrication dans le domaine de l'animation. Des relations d'ordre plus affectif peuvent aussi expliquer le choix des partenaires étrangers. Dans tous les cas, une confiance mutuelle est nécessaire pour de tels accords internationaux.

Au total, l'Europe a apporté en 1994 près de 80 millions de francs en coproduction, contre 160 millions pour les pays en dehors de l'Europe, soit 240 millions de francs au total (5). En 1996, la progression des coproductions a permis d'atteindre 370 millions de francs. Ce sont les Etats-Unis et le Canada qui financent en 1994 les deux-tiers des coproductions. On remarque en revanche l'absence du Japon qui n'apparaît plus comme coproducteur en 1994, contrairement aux années précédentes. En Europe, l'Allemagne est le principal coproducteur de l'animation française.

Selon l'Observatoire de la création audiovisuelle (6), les principaux pays partenaires des coproductions, en 1994, sont :

 


Titres Volume horaire Volume financier*
Canada 7 40 h 31 84,76
Etats-Unis 5 54 h 13 74,26
Allemagne 5 34 h 46 24,45
Suisse 3 19 h 37 21,75
Belgique 3 15 h 23 10,10
Espagne 2 13 h 26 7,35
Luxembourg 2 7 h 15 11,10
Angleterre 1 2 h 10 3,00

Source : CNC, traitement INA * en millions de francs

Jusqu'au début des années 1990, les coproductions provenaient essentiellement du Japon, du Canada et des Etats-Unis. Le Canada entretient toujours une longue tradition de coopération avec la France, alors que le Japon est devenu un partenaire minoritaire en quelques années. Les reproches faits aux séries japonaises dans les années 1980 ont conduit les producteurs français à se désengager progressivement vis-à-vis des investisseurs japonais. Quant aux Etats-Unis, leur participation dans les productions françaises est souvent un prétexte pour bénéficier des privilèges accordés par les aides du CNC. Les coproductions avec les Américains sont toutefois maintenues dans la mesure où les Etats-Unis sont les premiers producteurs d'animation dans le monde. L'apport des Européens en coproduction était très limité, presque négligeable jusqu'au début des années 1990, avec seulement 7 % en 1991. Un renversement de tendance a eu lieu au profit des coproducteurs européens pour atteindre 30 % des apports en 1994 ; il s'explique en grande partie par les efforts des pouvoirs publics mis en oeuvre au sein de l'Union européenne pour relancer l'animation en Europe.

b) Les partenaires privilégiés

L'Allemagne demeure le principal partenaire en Europe. Elle finance jusqu'à 20 % du budget d'une production. Beta et Ravensburger sont les deux plus grands investisseurs dans le domaine de l'animation. L'Allemagne est apparue depuis plusieurs années comme le partenaire idéal pour coproduire des séries d'animation. Ainsi, la plupart des séries récentes coproduites par TF1 ont reçu un soutien financier de l'Allemagne : SOS Croco !, Kangoo, Spirou, Paddington ou Dr Globule. Cependant, la situation est en train d'évoluer avec le lancement en 1997 de Kinderkanal, une chaîne câblée pour les enfants, à l'initiative des deux chaînes publiques ARD et ZDF. Selon Dominique Poussier (7), "depuis quelques années, on voyait l'Allemagne comme un eldorado pour le dessin animé ; or, avec la fermeture de Nickelodeon, Kinderkanal occupe tout le marché et Pro Sieben ne produit plus de dessins animés".

La situation peut donc paraître inquiétante dans la mesure où Kinderkanal, malgré son succès d'audience, n'a pas encore les moyens d'investir dans les programmes d'animation. Sebastian Debertin, directeur de la coordination des programmes de Kinderkanal, explique que la contribution de sa chaîne "à une minute de programme ne peut dépasser les 1 200 francs ; or la production d'un programme frais de qualité s'élève à 35 000 voire 50 000 francs la minute" (8). Cependant, l'Allemagne semble désireuse de rester un des principaux acteurs de l'animation en Europe. Des groupes puissants s'associent même aux producteurs allemands. Par exemple, EM TV & Merchandising, société spécialisée dans le licensing de produits dérivés, coproduit en 1998 deux séries avec la France : Momie au pair (Les Cartooneurs) et Normal Norman (Télé Images).

En dehors de l'Europe, le premier coproducteur étranger est le Canada. Ce pays est lié à la France par un traité qui permet un partage des tâches dans le domaine de l'animation. Ce mini-traité, conclu le 10 janvier 1985, porte sur des "accords relatifs à la promotion de projets de coproductions audiovisuelles entre la France et le Canada, dans le domaine de l'animation". Le premier projet a été présenté en 1986. De 1987 à 1990, un ou deux projets ont vu le jour chaque année. Depuis 1991, le rythme des coproductions s'est accéléré avec plus d'une dizaine de projets en 1997. (9)

Comme le rappelle Olivier-René Veillon, délégué général de TV France International (TVFI), le Canada est "le pays au monde qui, avec la France, est le plus conscient de l'enjeu culturel et économique du soutien aux industries de programmes" (10). Proche des Etats-Unis, le Canada est encore plus concerné que la France par la défense de sa culture. Téléfilm Canada apporte un soutien à l'animation canadienne et le Québec possède un organisme équivalent au CNC français. De plus, le Québec est très lié à la France par sa langue et ses ancêtres communs, ce qui facilite les coproductions entre les deux pays. Trois grandes sociétés canadiennes ont développé des partenariats avec des sociétés de production françaises : Nelvana avec Ellipse, Cinar avec France Animation et Cinégroupe avec Dupuis Audiovisuel.


C. Les réalisations


a) Les premières coproductions : le Japon et les Etats-Unis à l'honneur

Les sociétés les plus anciennes dans le secteur de l'animation ont été les premières à s'engager dans une politique de coproduction avec l'étranger. La première coproduction entre le Japon et l'Europe date de la fin des années 1970 avec Ulysse 31, série imaginée par deux auteurs français, Nina Wolmark et Jean Chalopin. Le dessin animé s'inspire des poèmes de L'Odyssée tout en les transposant dans un vaisseau spatial au troisième millénaire, pour répondre à la demande des Japonais. La DIC, société fondée par Jean Chalopin à Tours en 1971, constitue pour la télévision un catalogue de séries d'animation au succès international en quelques années. L'exemple de réussite le plus célèbre est la série Inspecteur Gadget, coproduite en 1983 avec les Etats-Unis par l'intermédiaire de la société Fields Communication. La série, rediffusée en France plus d'une dizaine de fois, a été exportée dans le monde entier.

Fondée en 1978, IDDH, la société de Bruno-René Huchez, distribue des programmes de télévision et exploite des produits dérivés. Puis elle se diversifie dans la production de séries d'animation en 1984. Ce sont les producteurs américains qui se sont adressés à IDDH après avoir remarqué la qualité de ses créations. IDDH coproduit alors avec les Etats-Unis plusieurs séries au succès international : Les Tortues Ninja, Denver, ou Prince Valiant. Des créateurs français participent à l'élaboration de la série, tant au niveau du dessin que du scénario ; l'animation est sous-traitée en Corée ou au Japon, sous contrôle américain et français. Pourtant, la conception des dessins animés est très marquée par l'intervention des Américains. Dès lors, les Etats-Unis ont la réputation d'exiger un important droit de regard sur la réalisation des séries, en particulier au niveau de la pré-production. Cependant, les coproductions franco-américaines se poursuivent aujourd'hui car leurs investissements financiers ne peuvent être ignorés par les producteurs français.

b) Le recours systématique aux coproducteurs étrangers

Au fur et à mesure de l'industrialisation de l'animation française, les coproductions avec l'étranger se sont multipliées. Au Japon et aux Etats-Unis s'est ajouté un troisième partenaire en 1985 grâce à la signature d'un traité franco-canadien. Cet accord bilatéral dans le domaine de l'animation initie une longue série de coproductions à la réussite internationale. De plus, en 1989, l'ouverture du troisième guichet encourage les chaînes publiques françaises (FR3 principalement) à produire des séries de qualité au budget élevé. Le Canada devient le partenaire idéal pour se lancer dans des projets ambitieux.

Au milieu des années 1980, Ellipse s'associe au Canadien Nelvana, actionnaire du studio Ellipse. Les deux partenaires décident d'adapter en dessin animé Babar, la bande dessinée de Jean de Brunhoff créée en 1930. La série de 65 épisodes de 26 minutes est diffusée pendant l'hiver 1989-1990 sur Canal Plus, puis sur FR3 en septembre 1990. Les scénaristes sont américains, quant aux réalisateurs, l'une est américaine (Laura Shepperd), les deux autres français (les frères Brizzi). La série a ensuite été diffusée en Belgique, en Suisse, en Allemagne, au Maroc, en Finlande et en Nouvelle-Zélande. Babar a même été une des rares productions européennes achetées par le Japon. Le dessin animé a reçu en 1989 le Prix de la meilleure série animée au Canada, puis un Ace à Los Angeles, en 1990, décerné par l'Académie nationale des programmes par câble.

La bande dessinée d'Hergé, Tintin, fait également l'objet d'une adaptation en dessin animé au début des années 1990. Vingt-et-un des vingt-trois albums sont adaptés sous le contrôle de la Fondation Hergé. La série de 39 épisodes de 26 minutes, coproduite aussi par Ellipse et Nelvana, est diffusée au mois de mai 1992 sur FR3. La bande dessinée étant déjà connue internationalement, la série est achetée dans le monde entier et diffusée dans plus de 50 pays.

France Animation, de son côté, a développé une politique de collaboration avec le Canadien Cinar. Puis, à partir de 1990, la société a commencé à rechercher d'autres partenaires : d'abord en Europe, avec BBC Enterprises (Albert le cinquième mousquetaire) en Angleterre et Ravensburger (Chip & Charly) en Allemagne. Puis, en dehors de l'Europe, en 1995, France Animation a signé avec l'Australie un accord de coproduction sur une série 26 x 26', Li'l Elvis Jones et les Truckstoppers, dont le budget s'élève à 35 millions de francs. Le dessin animé est diffusé à partir du mois de septembre 1998 sur Canal J. Les partenaires australiens et la chaîne américaine ABC ont apporté 50 % du financement. La série raconte l'histoire d'un jeune garçon dont la mère pense qu'il est la réincarnation d'Elvis Presley. Le héros monte un groupe de rock avec l'aide d'un jeune aborigène et d'une jeune fille (11). Le cas de France Animation est exemplaire de la diversification actuelle des partenaires étrangers en coproduction. Tous les types de partenariat sont maintenant envisageables, et le choix se fait au cas par cas.

c) Le succès d'une coopération internationale : l'exemple de Dupuis Audiovisuel

(12)

Dupuis Audiovisuel est un producteur de dessins animés spécialisé dans l'adaptation de bandes dessinées. La société peut s'appuyer sur le catalogue des éditions Dupuis. Un studio d'animation a été créé à Paris en 1992. Le premier projet a été l'adaptation de Spirou en association avec TF1 et les sociétés canadiennes Ciné-Groupe et Astral. Les albums de Tome et Janry ont donné lieu à 52 épisodes de 26 minutes. Le jeune reporter Spirou voyage à travers le temps (depuis l'époque des dinosaures en passant par le Moyen Age) et à travers l'espace (Australie, New York, Moscou, par exemple), en compagnie de son écureuil Spip et de son ami Fantasio. Créé en 1938 par le Français Rob Vel, le personnage de Spirou a été dessiné principalement par Franquin, avant d'être repris par le duo Tome et Janry. Deux millions d'albums des Aventures de Spirou sont vendus chaque année. La série de dessins animés a donc pu être diffusée dans le monde entier.

D'autres réalisations ont suivi comme Flash Gordon (26 x 26'). La série, lancée en septembre 1996, est adaptée de l'oeuvre d'Alex Raymond. Elle présente une version réactualisée d'un des grands classiques de la bande dessinée américaine contant le combat entre le Bien et le Mal pour la conquête de la planète Mongo et de la Terre. Entre science-fiction et aventure, elle est destinée en priorité aux enfants de huit à douze ans. La série est diffusée sous licence aux Etats-Unis, sur YTV au Canada et sur Canal Plus et France 3 en France. Plus récemment, Papyrus, série de 26 épisodes de 26 minutes, est diffusée sur TF1 depuis le mois d'avril 1998 ; 13 nouveaux épisodes ont été commandés par la chaîne. Créé en 1974 par Lucien de Gieter, le jeune héros combat les forces du mal qui menacent le royaume d'Egypte. La série est distribuée également dans plusieurs pays.

Dupuis Audiovisuel explique sa politique et ses exigences en matière de coproduction : "La coproduction a décidé de maîtriser l'intégralité de la création, de l'animation, de la fabrication et de la diffusion [...]. Le souci majeur de la coproduction est de garantir une qualité haut de gamme, supérieure aux productions télévisuelles traditionnelles. C'est pourquoi les Editions Dupuis, fortes de leur longue expérience en matière de bandes dessinées de qualité, ont décidé d'assurer elles-mêmes la production déléguée" (13).

Cette volonté affichée de rechercher la qualité est une des raisons de la multiplication des partenaires étrangers dans le financement des séries d'animation. L'Europe est maintenant le point d'ancrage de l'animation française, par la proximité géographique et culturelle ainsi que par le nombre de partenaires qu'elle offre.




II. LA COOPERATION EUROPEENNE, UN FACTEUR DE DEVELOPPEMENT




La France, qui s'est imposée comme le premier producteur d'animation en Europe, est fortement tributaire du contexte européen auquel elle doit sa réussite. Depuis la fin des années 1980, en effet, les producteurs et les diffuseurs européens sont encouragés par les pouvoirs publics à coopérer dans le domaine de l'animation. Un double mouvement crée une synergie qui permet aux entreprises européennes de mieux résister à la concurrence américaine et japonaise : les atouts de l'animation française sont d'un côté un moteur pour la relance du dessin animé en Europe ; d'un autre côté, les aides de l'Union européenne renforcent le développement de la production d'animation en France. A l'intérieur d'un programme plus vaste en faveur de l'audiovisuel en général, l'Europe s'est dotée d'un organisme spécifique de soutien à l'industrie de l'animation.

A. Cartoon, une initiative fructueuse du programme Média

Cartoon a été initié en 1987 par le programme Média de la communauté européenne qui regroupe l'ensemble des mesures prises en faveur du cinéma et de l'audiovisuel à l'échelle communautaire. Sa création officielle date du 16 février 1988 à Bruxelles. Cartoon a pour objectif de structurer et de dynamiser l'industrie européenne du film d'animation. Il joue également un rôle dans le maintien des emplois au sein de l'Europe, et il aide à mieux financer les productions. Depuis 1995, les quinze pays de l'Union européenne sont membres de Cartoon. Des pays appartenant géographiquement à l'Europe, sinon économiquement, sont également "associés" à Cartoon. Le programme Média 1 a duré cinq ans de 1991 à 1995 et a été prolongé par le programme Média 2 en janvier 1996 qui a pour objectif de consolider une industrie encore jeune.


a) Les pays partenaires

Cartoon est en priorité destiné aux pays de l'Union européenne qui participent au financement du programme Média. Cependant, trois pays n'appartenant pas à l'Union européenne ont été admis : l'Islande, la Hongrie et la Norvège.

En 1998, les 394 entreprises partenaires de Cartoon sont réparties ainsi (14) :

Pays Nombre d'entreprises Pays Nombre d'entreprises
Belgique* 25 Italie* 27
Danemark* 11 Luxembourg* 6
Allemagne* 36 Hongrie 4
Grèce* 7 Pays-Bas* 8
Espagne* 32 Norvège 5
Finlande* 9 Autriche* 8
France* 97 Portugal* 13
Irlande* 20 Suède* 7
Islande 2 Royaume-Uni* 77

* Pays membres de l'Union européenne

Cette répartition reflète la plus ou moins grande vitalité de l'animation des dix-huit pays partenaires de Cartoon. La France, à la tête de l'animation européenne, est au premier rang avec 97 entreprises, soit près du quart des partenaires. Ensuite, vient le Royaume-Uni avec 77 entreprises soit environ 20 % des partenaires, puis l'Allemagne (36), l'Espagne (32), l'Italie (27) et la Belgique (25). Ce sont les pays que l'on retrouve le plus souvent au générique des programmes d'animation européens. Tous ces pays sont frontaliers avec la France, et, à l'exception du Royaume-Uni, ont été les pionniers de la construction européenne. Ces six pays représentent les trois-quarts des entreprises partenaires de Cartoon.

Les autres membres de Cartoon disposent au plus de vingt entreprises : Irlande (20), Portugal (13), Danemark (11), Finlande (9), Autriche (8), Pays-Bas (8), Suède (7), Grèce (7), Luxembourg (6), Norvège (5), Hongrie (4) et Islande (2). Les petits pays et ceux qui ont adhéré le plus récemment à l'Union européenne ou qui n'en font pas partie sont les moins présents au sein de Cartoon, avec une dizaine d'entreprises au maximum.

b) Les aides et les actions de Cartoon

Les adhérents de Cartoon bénéficient de nombreuses aides. En ce qui concerne la France, ces aides viennent s'ajouter à celles qui existent déjà au niveau national, grâce aux actions du CNC. Pour certains pays de l'Union européenne, les aides de Cartoon constituent le seul recours. Parmi elles, on distingue :

- les prêts à la pré-production : aide au graphisme, aide à l'écriture, aide au film pilote et aide au développement d'un long métrage ;

- les aides pour les stages de formation en entreprises : elles concernent les studios qui souhaitent former en leur sein les personnes nécessaires au démarrage d'une production. Elles sont destinées à compenser le manque d'animateurs en Europe. La majorité des stagiaires sont engagés (79 %).

La modernisation des outils de production est une priorité : Computer Cartoon a été lancé en 1991 par le Club d'investissement Média et Cartoon, pour fournir un soutien financier à l'informatisation de la chaîne de fabrication des dessins animés. Grâce à ce soutien, les logiciels Pegs de Pixibox, Tic Tac Toon de 2001, Animo de Cambridge Animation Systems et Anim 2000 d'Animation 2000 ont pu être développés et commercialisés. Cet effort a pour objectif de rapatrier une partie des travaux sous-traités dans les pays asiatiques où les coûts de la main-d'oeuvre sont très bas. Les outils informatiques sont également un moyen de réduire les coûts de production grâce aux gains de productivité.

D'autre part, Cartoon favorise le regroupement de certaines unités de production et accorde une aide financière de trois ans aux studios européens qui se regroupent en structure permanente. Ces regroupements permettent aux studios d'augmenter leur potentiel de créativité et de fabrication ainsi que leurs capacités financières. L'objectif de ces aides est encore de rapatrier le travail en Europe et de renforcer la compétitivité des studios sur le marché international. Une dizaine de regroupements ont été créés depuis la création de Cartoon. EVA a été le pionnier et regroupe quatre studios européens : Cologne Cartoon (Allemagne), La Fabrique (France), Siriol Productions (Royaume-Uni) et Sofidoc (Belgique). Le regroupement de studios reste une originalité de Cartoon qui permet une synergie entre les différents acteurs du regroupement. En Europe, aucune série de 26 x 26' n'était fabriquée avant la naissance de ces regroupements. L'internationalisation, dans ce cas, au lieu d'ouvrir un champ de compétition, est une façon de regrouper des compétences et des moyens financiers autour d'un même projet.

Cartoon offre aussi la possibilité de participer aux Cartoon Masters. Ce sont des séminaires spécialisés en animation, destinés à fournir aux professionnels européens une formation très pointue. Les sujets sont divers et vont de la création (écriture, story-board, par exemple) aux nouvelles technologies en passant par le management (direction d'un studio, organisation du travail). Le dernier Cartoon Master a eu lieu à Arles au mois de mai 1998. Il a regroupé 30 participants autour de la question : "le jeu vidéo est-il rentable pour l'animation ?". Depuis le milieu des années 1990 en effet, la diversification des producteurs européens de dessins animés dans le multimédia est une des voies privilégiées. Les sources de revenus qui peuvent en être issus intéressent le secteur de l'animation à la recherche permanente de capitaux. La coopération européenne sur cette question est susceptible d'enclencher un mouvement autour du multimédia. La France est à la tête de cette diversification, car elle possède de nombreuses entreprises spécialisées dans la production de jeux vidéo. Les intervenants du Cartoon Master d'Arles étaient d'ailleurs tous français.

Cartoon n'est pas seulement un lieu de rencontre grâce à ces séminaires, c'est un lieu d'échange et de coopération : il propose une véritable banque d'emplois (plus de 1 000 offres), ainsi qu'une banque de données. Symbole de la coopération entre les pays européens, le Cartoon Mediabase offre ainsi des informations sur les productions, la disponibilité des professionnels, la capacité de production des studios, les innovations techniques et les systèmes d'aides pays par pays. Il permet donc, par sa transparence, un échange fructueux et une meilleure connaissance entre les différents partenaires.

Enfin, les membres de Cartoon peuvent figurer dans le Catalogue Europe Animation qui reprend toutes les productions d'animation européennes vendues à l'occasion du MIP-TV (marché international des programmes télévisés). Cette vitrine constitue un tremplin et fournit un argument supplémentaire pour vendre les programmes à l'étranger. Le rayonnement international est également assuré par la remise du Cartoon d'Or qui récompense un réalisateur européen primé dans l'un des nombreux festivals d'animation organisés en Europe.

c) Le succès de Cartoon

Le bilan de Cartoon pour le premier programme Média est positif. De 1988 à 1995, Cartoon a aidé 252 projets issus de 17 pays et 31 % des projets ont trouvé leur financement. Les projets sélectionnés ont tous été soumis à un comité d'experts, composé de trois diffuseurs et de deux auteurs-réalisateurs. En 1995, 17 pays ont bénéficié des aides du programme Média. La France a reçu 76 aides, soit 30 % sur l'ensemble des projets aidés. Cartoon a permis à l'animation européenne de concurrencer les productions japonaise et américaine.

Les programmes d'animation aujourd'hui diffusés sur les chaînes des quinze pays de l'Union sont majoritairement d'origine européenne, ce qui n'était pas le cas dans les années 1980. La production de séries d'animation est en augmentation en Europe : plus de 700 heures aujourd'hui contre 60 heures seulement en 1986. La part de l'animation est passée de 10 à 23 % de la production audiovisuelle européenne en dix ans. Selon Marc Vandeweyer, "les studios ont appris à se connaître, à se rencontrer, à coopérer, voire à travailler ensemble. De longues séries de 26 fois 26 minutes commencent à se fabriquer en Europe, ce qui était inconcevable en 1988." (15)

Les producteurs peuvent plus facilement rencontrer les diffuseurs au sein de Cartoon, et associer des chaînes nationales et étrangères dans le financement de leurs projets. L'exemple du Père Noël et son jumeau de Francis Nielsen (Rooster Studio) montre le rôle de Cartoon pour faire aboutir des projets dits "difficiles", c'est-à-dire trop risqués pour intéresser les diffuseurs. Le réalisateur de ce film d'animation de 26 minutes a réussi à convaincre, en plus des deux diffuseurs nationaux (Canal Plus et Canal J), une chaîne allemande, une scandinave et une anglaise. Il avait bénéficié auparavant d'une aide à la pré-production : "Le projet a été sélectionné et nous avons obtenu, avec une rapidité remarquable, 25 000 écus. Cette aide m'a permis de finaliser le script, de faire le story-board ainsi qu'une maquette du projet" (16), explique Francis Nielsen. Grâce à la coopération européenne, la diversité et la qualité des programmes sont donc renforcées.


B. L'animation européenne ou la rencontre des talents


a) Le Forum Cartoon, un passage obligé

Au sein de Cartoon, le Forum est un marché des programmes d'animation pour la télévision coproduits en Europe. Les producteurs d'animation doivent présenter leurs projets dans le cadre d'une coopération européenne et avec le soutien d'une chaîne de télévision. Chaque projet est ensuite transmis aux diffuseurs. Si le Forum est la partie la plus visible de Cartoon, son succès est d'autant plus grand : 88 % des projets aboutis du premier programme Média ont participé au Forum Cartoon. Les producteurs et les diffuseurs européens regardent cette manifestation comme un rendez-vous essentiel de l'animation.

La rencontre se tient tous les ans. En 1990, à Lanzarote (Espagne), le premier Forum a rassemblé 32 chaînes et 105 producteurs. En 1991, le deuxième Forum a réuni à Saint-Malo (France) 45 chaînes. En ce qui concerne la France, si FR3 et Canal Plus étaient les seules chaînes à participer au Forum en 1990, l'année suivante l'ensemble des chaînes françaises avait au moins un représentant. En 1990, la moitié des projets aboutis avaient été proposés par des producteurs français. En 1991, sur 16 programmes au montage financier assuré, 12 émanaient de la France, soit les trois-quarts des oeuvres. "Ces chiffres témoignent de l'importance de la production française en Europe et de sa vitalité par rapport à ses voisins. Ils montrent également tout le bien-fondé d'une telle manifestation pour des producteurs français peut-être plus habiles que leurs homologues européens dans les montages de coproductions" (17), comme le souligne Stéphane Le Bars. Le démarrage en force du Forum Cartoon au début des années 1990 est en tout cas la preuve que la coopération européenne est un facteur essentiel de développement pour le dessin animé français.

Le troisième Forum a eu lieu en 1992 à Florence (Italie) avec environ 300 participants. Le quatrième Forum s'est tenu à Inverness (Ecosse). Cinq nouveaux membres ont alors été accueillis : l'Autriche, la Finlande, l'Irlande, la Norvège et la Suède. Une centaine de partenaires financiers étaient présents au lieu d'une trentaine de chaînes lors du premier Forum. En plus des diffuseurs européens, la rencontre, par sa renommée, attire les éditeurs vidéo et les grands groupes de communication européens (Bertelsmann, Kirch ou Hachette). La cinquième édition s'est déroulée aux Açores en 1994, rassemblant 450 personnes. Le sixième Forum s'est tenu à Turku (Finlande) en 1995 avec 60 diffuseurs et 60 autres investisseurs. La septième édition (premier Forum du programme Média 2) a eu lieu à Galway (Irlande) en 1996, réunissant 200 producteurs et 130 diffuseurs et investisseurs.

En moyenne, une soixantaine de projets sont présentés chaque année au Forum Cartoon. Sous le programme Média 1, le nombre de participants a plus que doublé, passant de 200 pour la première édition du Forum à 520 participants en 1995, en Finlande. Le nombre de diffuseurs et d'investisseurs a triplé : 45 en 1990 contre 140 en 1995.

Pour le huitième édition du Forum Cartoon en 1997, à Arles, 69 projets ont été étudiés par plus de 400 professionnels. Ainsi a été proposé le projet d'une quatrième série des Shadoks , intitulée Les Shadoks et le Big Blank. Après la récente réalisation d'un CD-ROM, 52 épisodes de trois minutes ont été écrits par Jacques Rouxel, le créateur des trois premières séries de la fin des années 1960. La société AAA de Marcelle Ponti s'est associée à l'INA pour coproduire cette série dont le budget dépasse les 10 millions de francs. Pour le moment, Canal Plus est le seul diffuseur français à être intéressé par ce programme. Le Forum Cartoon est l'occasion de rencontrer des partenaires étrangers susceptibles de s'engager dans une série originale et créative comme les Shadoks. Cependant, les difficultés de financement des programmes d'animation ne sont pas toujours résolus par la coopération européenne et la série de Jacques Rouxel n'a pas encore trouvé les fonds nécessaires à sa réalisation.

La réussite de la coopération européenne est indéniable : la neuvième édition, prévue pour la fin du mois de septembre 1998, à Syros (Grèce) s'annonce comme un succès. Le nombre de projets présentés a atteint le maximum autorisé (75), avec, pour la première fois, 60 % de séries longues. L'offre semble donc s'être adaptée à la demande du marché mondial, ce qui satisfait la plupart des diffuseurs et des investisseurs. Néanmoins, la réalité montre les difficultés quotidiennes de la coopération européenne.

b) Le dessin animé européen à la recherche de son identité

L'Europe est aujourd'hui une réalité économique et financière, mais sa construction a été lente depuis la signature du Traité de Rome en 1957. Si de nombreuses valeurs et sensibilités sont partagées par les différents pays européens, l'Europe des peuples et des cultures peut sembler une utopie. Selon Didier Brunner, directeur du studio Les Armateurs : "Il existe une identité, une culture européenne. Mais il est évident que si des projets arrivent à se monter financièrement en Europe, cela reste un sport très compliqué" (18).

L'Europe en effet partage plusieurs siècles d'histoire et de culture, ce qui constitue une force supplémentaire dans le domaine de la création. L'exemple de la série d'animation Les animaux du bois de Quat'sous démontre la possibilité de la réalisation d'une oeuvre originale, indépendamment des frontières. Ce dessin animé de trois fois 13 épisodes de 25 minutes, commandité par l'Union européenne de radiodiffusion (UER), a été coproduit par vingt chaînes publiques européennes. Cette coopération à grande échelle a permis de réunir un budget élevé de près de 100 millions de francs.

Le succès de la série a été à la hauteur de cet effort. "L'entreprise a été difficile, les goûts des uns et des autres étant très différents, mais on est arrivé à réunir un auteur anglais, un dessinateur allemand, un atelier français et un autre anglais pour un résultat original et nettement différent des séries japonaises ou américaines", souligne Mireille Chalvon (19).

La coopération européenne donne ainsi naissance à de nouveaux projets créatifs et originaux. Une autre série d'animation, qui présente les grands livrets d'opéra, a vu le jour grâce au concours de plusieurs pays d'Europe : la France, la Grande-Bretagne, la Hollande et la Belgique pour la fabrication, ainsi que l'Allemagne et le Portugal en association. Cette collaboration a permis le montage financier de la série. La réussite est d'autant plus assurée que le programme a intéressé plus de soixante télévisions dans le monde aux Etats-Unis, au Japon, en Amérique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Russie, au Canada et en Europe (20). La recherche des débouchés sur le marché international est une source de revenus non négligeable.





III. LA RENTABILISATION DES PROGRAMMES



Pour rentabiliser le coût élevé des programmes d'animation, il faut multiplier les sources de revenus : ventes à l'étranger, produits dérivés. Les durées d'amortissement des séries sont toutefois longues : un producteur doit attendre en moyenne trois à quatre années pour rentabiliser son investissement.


A. Les marchés de programmes audiovisuels et spécialisés


La production française d'animation est présente sur les marchés internationaux de Monte-Carlo (février), de Cannes au MIP/TV (avril) et au MIPCOM (octobre), et dans le monde, aux Etats-Unis, au Natpe (janvier) à Las Vegas ou à La Nouvelle-Orléans ainsi qu'à Hong Kong au MIP Asia. Le plus grand marché mondial consacré à l'animation, le marché international du film d'animation (MIFA), a lieu en France, à Annecy. Un concurrent est apparu au mois de mai 1997 : les Américains ont en effet inauguré un festival et un marché du film d'animation à Los Angeles.

a) L'importance des marchés internationaux

La France organise chaque année plusieurs marchés internationaux consacrés aux programmes audiovisuels. Ainsi, à l'automne, le Marché international des programmes et de communication (MIPCOM) réunit à Cannes plus d'un millier de vendeurs de programmes télévisés par an. Le MIPCOM est précédé du MIPCOM Junior, destiné aux programmes pour la jeunesse. En 1997, l'animation a rencontré l'intérêt des 330 acheteurs internationaux présents au MIPCOM. Au mois d'avril, le MIP-TV se caractérise par l'ampleur et la diversité de la représentation internationale. Ces deux marchés permettent de conclure principalement des accords pour la vente et l'achat de droits de diffusion, pour la coproduction et pour le financement des programmes. La présence américaine est la plus importante. La France est en troisième position, précédée par la Grande-Bretagne et suivie par l'Allemagne et le Canada.

La France est également présente sur les marchés étrangers afin de multiplier les débouchés possibles pour ses programmes d'animation. Les Etats-Unis représentent une étape indispensable dans l'internationalisation du dessin animé français. Le NATPE (National Association of Television Program Executives) permet aux producteurs, aux distributeurs et aux diffuseurs français de connaître les évolutions et les besoins du marché. Les Américains ne sont pas les seuls à être présents ; les pays d'Amérique du Sud et d'Asie ont aussi leurs représentants, ce qui n'est pas toujours le cas à Monte-Carlo ou au MIP-TV de Cannes. Les producteurs de dessins animés sont souvent sollicités au NATPE. En 1994, par exemple, le groupe Turner s'est montré intéressé par l'achat et même la coproduction de programmes européens d'animation (21). En 1997, la Nouvelle-Orléans a accueilli près de 20 000 participants, avec une participation plus grande des non-Américains. On estime aujourd'hui à 20 % les participants provenant de l'extérieur des Etats-Unis. La participation asiatique est en croissance constante.

Le NATPE est aussi un lieu de rencontre de nouveaux interlocuteurs. Le seul fait de la présence française sur ce marché demeure essentiel : la conclusion de contrats exceptionnels n'est pas forcément le but recherché, il s'agit surtout d'une vitrine de la production française. En montrant la vitalité de son industrie, l'animation française développe une stratégie à plus long terme qui fait d'elle un partenaire potentiel dans l'esprit des acteurs étrangers.

b) Le Marché international du film d'animation

Avec la demande croissante des diffuseurs mondiaux, il a fallu créer un marché spécifique pour les programmes d'animation. Le MIFA a donc lieu à Annecy tous les deux ans depuis 1985. Depuis 1997, la rencontre est annuelle pour répondre à l'augmentation du marché. Le MIFA permet de vendre, d'acheter et de coproduire des oeuvres d'animation, que ce soit pour le cinéma ou la télévision. Il réunit tous les partenaires économiques potentiels de la production d'animation : producteurs et diffuseurs, distributeurs, organismes financiers, détenteurs de droits, éditeurs vidéo et multimédia, industriels du jouet et de l'électronique.

Le marché se déroule parallèlement au Festival international du film d'animation d'Annecy. En 1997, le Festival accueillait près de 4 500 professionnels avec 70 pays représentés et 270 films projetés. Né en 1956 dans une section parallèle du Festival international du film de Cannes, il s'est définitivement installé à Annecy en 1960 pour devenir un des plus importants événements mondiaux dans le domaine de l'animation. En 1997, le MIFA s'est diversifié dans les jeux vidéo et les programmes multimédia. Il a également ouvert un nouvel espace d'échanges et de rencontres dans le domaine des techniques d'animation et des prestations. Ces évolutions suivent les transformations que subit l'animation au niveau mondial. La France est d'ailleurs un des premiers pays à avoir initié ces changements.

La présence de la France sur les marchés internationaux permet de négocier avec les pays intéressés par l'importation des programmes audiovisuels parmi lesquels l'animation est un genre particulièrement recherché.


B. L'exportation


a) L'animation, un genre majeur de l'exportation des programmes audiovisuels

L'animation française s'exporte très bien. La France est aujourd'hui le deuxième exportateur mondial de produits d'animation. C'est un des genres qui se vend le mieux parmi les programmes français. Les dessins animés véhiculent un contenu qui traverse plus facilement les frontières que celui de la fiction, par exemple. Les pays du monde entier sont importateurs de ce genre de programmes et la demande mondiale s'est fortement accrue depuis les années 1980 avec la multiplication des chaînes de télévision. De plus, les dessins animés ont une durée de vie très longue. L'avantage des dessins animés, par rapport à la fiction, est aussi leur facilité de doublage.

L'animation française se vend dans la plupart des pays, à des prix plus ou moins élevés. Selon Stéphane Le Bars (22), les prix de cession varient de 75 000 francs par épisode de 26 minutes pour les Etats-Unis à 20 000 francs pour les pays nordiques (Suède, Danemark et Norvège). Les prix sont assez bas malgré une demande mondiale importante. Les diffuseurs refusent d'investir trop dans un programme rarement diffusé en prime time. Les prix dépendent du pays acheteur mais également du type de chaîne, publique ou privée, hertzienne, par câble ou par satellite.

Depuis 1994, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et TVFI réalisent une enquête pour déterminer les ventes de programmes audiovisuels français à l'étranger. En 1994, les exportations françaises de programmes sont de 405 millions de francs. En 1995, la vente de programmes audiovisuels français est estimée à 432 millions de francs. En 1996, le montant des ventes à l'étranger d'oeuvres audiovisuelles françaises s'élève à 494 millions de francs (23), soit une augmentation de plus de 14 % par rapport à l'année précédente. En 1997, les ventes à l'étranger ont encore augmenté de 18 % pour atteindre un montant de 583 millions de francs (24). Ces chiffres sont bien supérieurs à ceux réalisés au début des années 1990 (environ 200 millions de francs), mais ne compensent pas un fort déséquilibre au profit des importations en provenance des Etats-Unis.

Au sein des programmes audiovisuels, l'animation est un genre privilégié. En 1994, les ventes d'animation ont représenté 126 millions de francs et en 1996, 166 millions de francs. Si on ajoute la coproduction, le pré-achat et l'achat, les programmes d'animation ont rapporté en 1996 près de 610 millions de francs, soit la moitié des apports étrangers pour l'ensemble des programmes français. Les ventes à l'étranger des programmes français concernent l'animation à 35 %, soit l'équivalent de la fiction (35 %), alors que le documentaire ne rassemble que 19 % des exportations. En 1997, la répartition est semblable avec 33 % des ventes concernant l'animation, 32 % la fiction et 20 % le documentaire. Le renforcement de l'animation est facilité grâce à l'explosion des chaînes thématiques dans le monde et à la reconnaissance internationale acquise par le dessin animé français.

La rentabilisation des programmes d'animation bénéficie donc de l'apport important des ventes à l'étranger. En plus des sommes investies en amont par le biais des coproductions et des préventes, les pays étrangers n'hésitent pas à acheter les dessins animés français, une fois produits.

b) Les pays importateurs

La répartition géographique des exportations de l'ensemble des programmes audiovisuels confirme une prédominance de l'Europe occidentale :

Principaux importateurs 1996 1997
Europe de l'Ouest 70 % 63 %
Asie 8 % 8 %
Amérique du Nord 7 % 8 %
Amérique latine 5 % 7 %

Source : INA-TVFI : études 1996 et 1997

L'Asie et l'Amérique latine constituent des marchés émergents stratégiques vers lesquels TVFI porte toute son attention. L'Amérique latine rattrape le niveau de l'Amérique du Nord, avec respectivement 7 % et 8 % des débouchés. La répartition varie selon les genres audiovisuels : en ce qui concerne l'animation, certains pays s'imposent comme des clients privilégiés.

L'animation française se vend très bien en Europe ; elle est aussi appréciée en Asie et en Océanie ainsi qu'au Canada. L'ordre d'importance des pays importateurs de programmes français d'animation diffère de celui des pays coproducteurs. Ainsi, l'Europe est le principal débouché des programmes d'animation. Le marché francophone est privilégié, notamment les télévisions suisse et belge (respectivement les chaînes TSR et RTBF). En particulier, des contraintes économiques obligent la Suisse romande à importer des programmes français. "Contrairement à ses concurrentes françaises -- encouragées par l'aide publique au dessin animé -- la télévision romande n'a guère les moyens de coproduire des oeuvres pour son jeune public" (25). L'Espagne, l'Italie, l'Allemagne et la Grande-Bretagne sont aussi des marchés importants pour les ventes de dessins animés français.

En revanche, les programmes français d'animation ont du mal à pénétrer les marchés américain et japonais. Le Japon et les Etats-Unis achètent peu de programmes d'animation à l'étranger dans la mesure où leur propre production suffit à satisfaire la demande nationale.

Parmi les marchés émergents, les pays andins d'Amérique latine (Colombie, Equateur, Pérou, Bolivie) constituent un marché audiovisuel important où la France cherche à exporter ses programmes. Une mission de TVFI a été lancée cette année, en 1998, pour connaître les perspectives de débouchés (26). En Colombie, la création de nouvelles chaînes offre des possibilités d'exportation pour les programmes d'animation français. Parallèlement, certaines sociétés privées diffusant des programmes sur les deux grands réseaux nationaux, Canal A et Canal Uno, doivent renouveler leur offre de programmes. Coestrellas SA, Proyectamos Television et Centauro Communicaciones sont ainsi à la recherche de programmes pour enfants et de programmes d'animation en particulier.

En Equateur, Teleamazonas est intéressée par les programmes français d'animation dont le prix est d'environ 1 000 dollars. Comme près de 70 % de la programmation de la télévision équatorienne provient de l'étranger, la France a intérêt à prendre place sur ce marché. Au Pérou, enfin, America TV, avec 20 % de part de marché, recherche des dessins animés. Le prix de l'animation varie pour la chaîne de 800 dollars à 1 600 dollars. La chaîne publique IRTP est intéressée par des dessins animés sans violence, et Frecuencia Latina, deuxième chaîne en audience, a un besoin immédiat d'acquérir des séries d'animation françaises.

Comme le souligne Olivier-René Veillon, "le potentiel du marché andin est considérable et actuellement largement sous-exploité. La France dispose sur place d'un environnement culturel (ambassades, Alliances françaises, lycées français) très porteur et d'une très bonne image, mais souffre de n'être pas identifiée comme un fournisseur de programmes à part entière, la plupart des chaînes ne fréquentant que les marchés américains" (27). La France est donc loin d'avoir exploité toutes les ressources existantes pour exporter ses programmes. Elle doit améliorer son système de distribution pour renforcer sa place dans le monde.

c) La distribution

La production française ne peut pleinement réussir son internationalisation que si elle encourage le métier de distributeur. Les producteurs peuvent distribuer eux-mêmes leurs programmes, mais le recours à une structure spécialisée est la garantie d'un savoir-faire.

M5 est une des premières sociétés à s'être spécialisée dans la distribution de programmes jeunesse. Frank Soloveicik, créateur de M5, possède un catalogue de mille heures d'animation dont la société Avantages a acquis les droits. En 1997, Avantages a acquis 600 heures du catalogue IDDH. L'un des premiers succès de M5 a été la commercialisation de Sharky et Georges, vendue en 1990 dans vingt-deux pays. Puis, lors du NATPE 1994, aux Etats-Unis, M5 a conclu un accord avec la chaîne américaine du câble Nickelodeon pour les deux séries des Histoires du père Castor (26 x 26'), produit par GMT, France 3, Tifoon et Flammarion. Le dessin animé s'est vendu dans quatre-vingt-dix pays et a réalisé la seconde audience sur Nickelodeon. "La chaîne a confirmé que l'audience a augmenté de 158 % sur les enfants de deux à cinq ans et de 128 % sur les foyers" (28). Les programmes français exportés sont en général de qualité et sont donc d'autant plus appréciés.

De nombreuses sociétés de production indépendantes ont développé une activité de distribution dans l'animation : France Animation, Marina Production et PMMP, par exemple. Les chaînes ont aussi leur propre département : Canal + Distribution, TF1 International, France Télévision Distribution, M6 Distribution et le département distribution de La Sept/Arte. Selon Olivier-René Veillon, ces filiales spécialisées "savent répondre de manière adéquate aux attentes du marché en analysant ses besoins et en adaptant leur offre" (29). Le poids des diffuseurs dans la distribution des programmes d'animation semble de plus en plus important, parallèlement à la prise de conscience des enjeux internationaux du secteur.

La rentabilisation des séries d'animation ne peut être assurée uniquement par les ventes à l'étranger. Les producteurs d'animation japonais et américains l'ont compris depuis longtemps : les produits dérivés font pleinement partie du processus de production des dessins animés. L'exploitation des séries d'animation peut se faire au travers de supports différents : des jouets (source principale de revenus) aux vêtements, du livre au multimédia. L'internationalisation génère un double profit par l'intermédiaire des produits dérivés.



C. Les produits dérivés


a) Les premières tentatives

En 1964, le service commercial de l'ORTF créait une branche consacrée à la gestion des droits dérivés. Le manège enchanté est diffusé la même année et, en moins d'un an, 300 000 jouets représentant Pollux, le chien de la série, sont vendus. "La télévision, bien que n'étant plus productrice, n'autorise la diffusion du Manège enchanté que si elle perçoit 60 % des royalties dues par Clodrey [usine de jouets]. Pour les émissions postérieures, l'ORTF conservera jusqu'à 85 % des droits, le reste étant partagé entre les auteurs et les producteurs" (30).

Certains s'insurgent à l'époque contre cette "marchandisation" de la télévision française, sans tenir compte des effets bénéfiques pour l'industrie du jouet et pour la production française télévisée. Le Manège enchanté a donné lieu à de nouveaux épisodes en 1973, puis, plus tard, en 1989. "La série a été diffusée dans le monde entier et plus de 3 000 produits dérivés ont été fabriqués en Europe" (31).

Le phénomène des produits dérivés prend de l'ampleur dans les années 1975 avec Casimir, puis avec les Schtroumpfs. Les fabricants de jouets, de disques, de vêtements investissent massivement dans les productions, provoquant parfois des faillites. En effet, le succès des droits dérivés n'est pas automatique. A l'inverse, sans cet apport financier, de nombreuses séries n'existeraient pas. Une stratégie à long terme doit être mise en place. L'avantage des séries est que celles-ci laissent le temps aux enfants de se familiariser avec les personnages.

b) Les réussites mondiales

Contrairement aux Etats-Unis ou au Japon, où l'industrie du jouet est intégrée à la production de dessins animés, la France n'a jamais su mettre en place un processus suffisamment intégré pour exploiter systématiquement les droits dérivés. Comme le souligne Stéphane Le Bars, "les industriels français se contentent d'accompagner une série qui marche au lieu de travailler en amont lors du développement du projet" (32). D'autre part, les firmes de jouets françaises sont beaucoup moins puissantes que les américaines (Hasbro, Mattel) ou les japonaises (Bandaï).

Le grand nombre de séries produites oblige les fabricants à choisir des valeurs sûres pour limiter les risques. Un des plus grands succès est celui des Tortues Ninja. En 1990 et 1991, la série, coproduite par la France et les Etats-Unis, inonde les grands magasins de plusieurs pays avec des figurines, des jeux électroniques ou des panoplies, pendant deux Noël. La notoriété de certains personnages est telle que la rentabilisation de la série est rapidement assurée : par exemple, "les droits dérivés de Babar ont permis de financer 53 % du coût de la série et ceux de Tintin l'ont remboursée à 83 %" (33). C'est Ellipse Licence qui gère les droits dérivés de ces deux séries. Dans un marché fortement concurrentiel, la stratégie de cette société consiste à trouver des niches et à adopter un "programme global", c'est-à-dire "travailler simultanément sur une série TV (vidéo, musique, CD-Rom) et en édition (livres, carterie), à la fois en merchandising et en promotion, et à booster le tout avec un événement" (34). Une telle démarche n'est pas la garantie automatique du succès, mais si elle fonctionne, les recettes en produits dérivés peuvent atteindre plus de 50 % du coût d'une série.

Les coproductions permettent aujourd'hui de mettre en place une politique internationale de produits dérivés pour des séries "haut de gamme". C'est le cas des séries coproduites par Dupuis Audiovisuel : Papyrus ou Flash Gordon pour lesquelles un accord a été passé avec une chaîne de restauration rapide. Au moment de la sortie du dernier album de Lucien de Gieter en novembre 1998, Papyrus doit donner lieu à une opération de droits dérivés. Gaumont Multimédia développe également des produits dérivés pour ses séries, en particulier Home to Rent. La société garde tous les droits sauf aux Etats-Unis où les recettes merchandising sont partagées avec la Fox (35).


Les recettes issues des produits dérivés ne sont jamais une ressource sûre, mais la France sait maintenant développer avec prudence une politique de merchandising. L'internationalisation du dessin animé français, par l'intermédiaire des coproductions et des ventes, augmente les chances de succès dans ce domaine. Néanmoins, les stratégies menées par les producteurs d'animation impliquent des enjeux économiques autant que culturels.

© Lélia Maurellet

 
 

© 2005 - Lélia Maurellet