L'internationalisation du dessin animé français - Mémoire de maîtrise (1998)

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INTRODUCTION


Blake et Mortimer, les deux célèbres héros de bande dessinée, se sont animés en prime time sur Canal + au mois d'avril 1997 : la série d'animation française, produite par Ellipse Animation et Dargaud Films, "joue sa rentabilité sur une diffusion internationale" (Julien RAPPENEAU, Ecran Total, 1997). Cette production apparaît comme un des exemples les plus récents de la réussite des Français dans ce secteur de l'industrie des programmes audiovisuels.

Concurrencée par les Etats-Unis et le Japon, la France est aujourd'hui le premier producteur d'animation en Europe et occupe le troisième rang mondial. Ce dynamisme concerne principalement le secteur de la production industrielle de séries à destination des chaînes de télévision. En revanche, le court métrage et le long métrage de cinéma d'animation sont dans une situation critique en France. Pour étudier le succès de l'animation française à l'étranger, on se limitera aux productions audiovisuelles de dessins animés. Ce sont principalement les séries de 26 minutes, très présentes sur le marché international, mais également les mini-séries aux formats plus variés, produites majoritairement en Europe.

En effet, l'émergence de ces nouveaux produits est due à la demande accrue en matière de programmes pour la jeunesse et à la multiplication des chaînes de télévision. La France était mal placée pour répondre à cette demande. Sa production d'animation est longtemps restée au stade artisanal. Elle pouvait difficilement assumer le coût élevé des séries d'animation. Produire un dessin animé coûte cher et demande du temps (environ deux ans pour une série de 26 épisodes de 26 minutes). Il faut attendre les années 1980 pour que la France se lance à la conquête du secteur. Plusieurs facteurs entrent alors en jeu : une politique volontariste des pouvoirs publics et la demande de productions de qualité pour faire face aux dessins animés japonais.

La France, soutenue par de nombreux pays européens, va réagir face à ce déferlement d'images standardisées et stéréotypées en défendant une conception artistique de l'animation. Elle crée des séries de qualité dont le scénario s'appuie sur le patrimoine culturel européen, et exploite en particulier la richesse des personnages de bande dessinée de l'école franco-belge (Tintin, Lucky Luke). Elle forme une main d'oeuvre qualifiée et talentueuse, au savoir-faire reconnu dans le monde entier.

L'enjeu semble avant tout culturel : il s'agit pour la France de promouvoir sa culture et le talent de ses artistes. Mais seule une industrialisation qui passe par l'internationalisation peut réellement sauver la production française. L'industrie de l'animation française est donc devenue un acteur incontournable sur la scène internationale en l'espace d'une dizaine d'années. Cette réussite est due à une stratégie d'internationalisation qui répond d'abord à deux objectifs d'ordre économique : le financement des projets et la rentabilisation des programmes d'animation.

Pourtant, la stratégie d'internationalisation des dessins animés ne peut exclure la dimension culturelle de ces programmes. Exportés dans le monde entier, ils véhiculent une certaine image du pays dont ils sont issus. Deux conceptions s'opposent principalement :

- la conception artistique qui assigne au dessin animé une fonction culturelle : délivrer un message, transmettre des valeurs, jouer un rôle éducatif auprès d'un public majoritairement jeune.

- la conception industrielle qui considère le dessin animé comme un programme rentable car multidiffusable (les générations d'enfants se renouvellent régulièrement), exportable et susceptible d'être exploité sur différents supports (produits dérivés).

Certains producteurs d'animation intègrent dès le départ une logique mondiale de financement, de fabrication et de commercialisation des séries de télévision. La France est reconnue sur le plan international pour son savoir-faire, sa production de qualité, ainsi que pour son originalité et sa créativité dans le domaine de l'animation. Cependant, pour atteindre les objectifs économiques de l'internationalisation, des concessions sont nécessaires tant sur la forme (format, nombre d'images par seconde) que sur le fond (scénario, personnages). Les coproducteurs étrangers ont leur mot à dire sur la conception des séries. Et si l'on veut exporter dans un maximum de pays, faut-il s'aligner sur les standards internationaux ? Faut-il gommer les spécificités culturelles et uniformiser les contenus pour tendre vers un produit le plus "universel" possible ?

On peut alors se demander dans quelle mesure l'internationalisation des programmes bénéficie ou non à leur créativité. Quels sont les atouts et les risques de l'industrialisation ? Comment concilier enjeux économiques et enjeux culturels ? L'internationalisation, agent d'une réussite indéniable, met-elle en péril la diversité des contenus et la créativité des auteurs ?

Pour tenter de répondre à ces questions, nous examinerons, dans une première partie, les facteurs du renouveau de la production française d'animation et ses atouts afin de déterminer le contexte dans lequel s'inscrit le succès de l'animation française à l'étranger. Dans une deuxième partie, nous montrerons comment l'internationalisation peut apporter une solution au problème de financement des dessins animés : nous étudierons en particulier le système des coproductions, celui de la coopération dans le cadre européen, et les moyens de rentabiliser les programmes (exportation et produits dérivés). Enfin, dans une troisième partie, seront analysés les enjeux et les conséquences des stratégies d'internationalisation au travers de la politique des producteurs d'animation, ainsi que les avantages de cette internationalisation et les contraintes qui pèsent sur le contenu des programmes.

© Lélia Maurellet

 
 

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